Loi recherche : la colère du biologiste

Patrick Lemaire

Patrick Lemaire est biologiste. Au CNRS, à Montpellier. Il fut aussi l’animateur de Sciences en marche qui mit sur pieds et à vélo, voire en kayak, des milliers de scientifiques à l’automne 2014. Déjà pour défendre les moyens de la recherche publique, en crédits et en nombre de chercheurs, ingénieurs, techniciens.

Il est biologiste, comme l’actuelle ministre chargée de la recherche, Frédérique Vidal à laquelle il s’adresse aussi comme «collègue».  La vérité m’oblige à écrire que son CV de chercheur pèse beaucoup plus lourd que celui de la ministre. Et malgré cette proximité de discipline, Patrick Lemaire est vraiment en colère. Contre la loi sur la recherche, LPPR (Loi de programmation pluriannuelle pour la recherche) dont la forme définitive est désormais connue après la réunion des députés et sénateurs en commission mixte. Budgets loin du nécessaire, précarisation massive des emplois, financements toujours soumis à des appels d’offres compétitifs incapables de répondre aux besoins de la recherche de base.

Une loi dont le Conseil économique social et environnemental a très bien analysé  l’insuffisance budgétaire et l’effet délétère de la précarisation des personnels de la recherche publique. En outre, la droite sénatoriale y a ajouté quelques piments complaisamment acceptés par la ministre. Comme la criminalisation d’actions de protestation dans les campus universitaires (3 ans de prison et 45.000 € d’amende pour toute action gênant les cours). Et l’affaiblissement du rôle du Conseil national des universités- dont la Commission permanente a écrit à Macron pour lui demander de se séparer de la ministre – dans la recrutement des enseignants-chercheurs. En revanche, toujours rien pour renforcer la lutte contre les manquements à l’intégrité scientifique. Bref, une colère justifiée. Et exprimée sans prendre de gants dans le texte ci-dessous.

Sylvestre Huet

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Chère Mme la ministre, chère Frédérique Vidal, chère collègue, quelques réflexions personnelles sur cette loi « de programmation » dont vous vous félicitez tant, telle qu’elle aurait pu être et telle qu’elle sera en fait.  

Cette loi, la LPPR, était grandement attendue par toute la communauté de la recherche. Cela aurait pu être une grande loi, qui vous aurait  placée dans les pas d’Hubert Curien.  

La LPPR aurait dû redonner les moyens financiers nécessaires à notre recherche pour la remettre sur un pied d’égalité avec les autres pays  et honorer notre engagement international d’investir 1% du PIB dans la recherche publique. 

La LPPR aurait dû assurer le nécessaire équilibre entre financements récurrents, qui permettent d’explorer librement, et financements sur  projets, pour accélérer sur les pistes prometteuses.  

La LPPR aurait dû être suffisamment précise dans sa programmation budgétaire pour que les gouvernements successifs aient du mal à  justifier de ne pas la respecter.  

La LPPR aurait dû redonner confiance et une perspective professionnelle aux jeunes (de plus en plus rares) qui se dirigent vers les carrières  scientifiques.  

La LPPR aurait dû ramener les salaires des scientifiques au niveau de ceux des corps de rang égal des autres ministères. Parce qu’ils/elles le  valent bien. 

La LPPR aurait dû s’attaquer au mille-feuille administratif qui gangrène la recherche publique et les structures de valorisation à l’interface recherche publique/entreprises. 

La LPPR était enfin – et peut-être surtout – une occasion à saisir de porter une réflexion politique sur la place des chercheurs toutes disciplines  confondues dans la société, dans les administrations et dans le processus de décision politique. 

Mais la LPPR ne l’a pas fait, et vous en êtes responsable, Mme la Ministre, chère collègue. 

Vous avez justifié d’un investissement nul dans la recherche sur les derniers 10 ans pour clamer qu’un investissement minimal et incertain  est une formidable victoire. Vous avez raison, il ne faut pas donner trop de nourriture aux sous-alimenté.e.s. 

Votre loi met en avant le financement sur projet et l’augmentation du budget de l’ANR, omettant toute référence à l’évolution des  subventions pour charge de service public, le fondement des crédits « récurrents ».  

Pire, dans un remarquable tour de passe-passe sémantique, votre loi finance les crédits que vous appelez encore « récurrents » par le  préciput des contrats ANR. Un financement récurrent sur projet, en somme.  

Votre loi laisse près de la moitié de sa programmation budgétaire sans affectation : sur le progr. 172, qui finance les organismes de recherche,  environ 10 Md€ sur 17Md€ ne sont pas affectés. Quelle aubaine pour les coupes budgétaires des gouvernements à venir.  

Vous avez, via un amendement scélérat de dernière minute, piloté l’exclusion du CNU des procédures de recrutement sur poste, sans pour autant augmenter le nombre de ceux-ci. Tant pis pour les jeunes. Et tant pis pour la parole donnée.  

Votre loi augmente « généreusement » les primes mensuelles des scientifiques. Une demie mesure qui ne suffira pas à rattraper les  rémunérations des corps des autres ministères. Que les scientifiques restent à leur place – subalterne.  

Le pire n’étant jamais sûr, attendons l’impact d’une hypothétique future loi sur les retraites sur les rémunérations globales, sur une vie, des scientifiques. Gageons que cet impact accroitra encore le déséquilibre des rémunérations avec les autres corps.  

Votre loi restera peut-être dans l’histoire comme la loi qui aura réprimé le droit de manifester sur les campus, en prévoyant jusqu’à 3 ans  d’emprisonnement pour quiconque aurait le «but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement ». 

Votre loi ne montre pas plus d’ambition pour la simplification administrative que de vision pour un soutien à l’innovation. En déclarant la discussion du Crédit Impôt Recherche hors champs, elle se prive de toute réflexion sur la politique nationale de soutien à la R&D privée.  

Votre loi définit – certes – et inscrit – enfin – l’intégrité scientifique dans le code de la recherche et dédie 1% du budget de l’ANR au partage de la culture scientifique. Mais elle reste une loi technique et insipide, sans portée politique. 

Votre loi ne fait notamment rien pour renforcer le rôle de l’OPECST -Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques) ou, plus généralement, la culture scientifique des élus et des  administrations. 

Nous continuerons donc à avoir une représentation nationale et des administrations qui gèrent les incertitudes du monde moderne au doigt  mouillé et à la boussole des idéologies. Avec les succès escomptés dans la gestion de COVID19 et de la transition écologique.  

Je vous adresse donc toutes mes félicitations, Mme la Ministre et chère ex-collègue, pour la qualité de votre vision, qui n’a d’égale que la  confiance que la communauté académique place en vous.  

J’étends mes félicitations à toute l’équipe des gouvernements de Jean Castex et d’Edouard Philippe pour tant de clairvoyance. Mention  spéciale à Bruno Le Maire, pour son soutien à la recherche publique française, motivé par une profonde compréhension de ses enjeux  industriels.  

Patrick Lemaire, Biologiste du développement à Montpellier, directeur de recherches CNRS.