Ce poids de l’environnement et des conditions de vie sur le devenir des organismes vivants a longtemps représenté une énigme pour les généticiens, et même une apparente contradiction avec la théorie de l’évolution. "Beaucoup pensaient qu’une fois décodé le génome des micro-organismes, des plantes, des animaux et de l’homme, on connaîtrait tout de la vie, explique Giacomo Cavalli, de l’Institut de génétique humaine de Montpellier. C’était un véritable dogme : dans la cellule, le flux d’informations ne circule que dans un sens - le code ADN est lu et traduit sous forme de molécules, les protéines. Mais nous sommes en train de vivre une vraie révolution ! Des mécanismes externes à la cellule peuvent favoriser l’expression d’un gène ou, au contraire, le déprimer et le contraindre au silence. L’information circule donc dans les deux sens." Autrement dit, il existe des processus qui se superposent au code génétique, ce que l’on appelle l’épigénétique - épi signifie en grec "au-dessus". Un terme proposé dès 1942 par le biologiste et philosophe britannique Conrad Waddington pour désigner l’étude des mécanismes par lesquels les gènes déterminent le phénotype, c’est-à-dire nos caractères propres (couleur des yeux, de la peau et des cheveux, morphologie, sensibilité aux maladies, etc.). On s’aperçoit, depuis une quinzaine d’années, que ces mécanismes sont probablement influencés par notre environnement, nos comportements (alimentation, addictions…), mais aussi notre bien-être psychique, le stress, la violence, etc. Un lien puissant entre nos cellules et nous, dont on saisit encore mal les mécanismes.
Sans épigénétique, pas d’organismes vivants complexes et, donc, pas d’humains. Depuis les années 1990, grâce notamment à des travaux auxquels a participé Giacomo Cavalli, les scientifiques étudient la façon dont, au moment de la conception, elle contrôle la différenciation des cellules à partir d’un même bagage génétique. Chacune de celles-ci peut en effet activer ou éteindre des gènes. Ces processus sont irréversibles, comme une mémoire moléculaire figée jusqu’à la mort. Il n’est pas question qu’un neurone donne naissance, en se divisant, à des globules rouges ! De même, une abeille reine ne se transformera jamais en ouvrière ; entre les deux insectes, plus de cinq cents gènes portent des différences épigénétiques stables.
Ce poids de l’environnement et des conditions de vie sur le devenir des organismes vivants a longtemps représenté une énigme pour les généticiens, et même une apparente contradiction avec la théorie de l’évolution. "Beaucoup pensaient qu’une fois décodé le génome des micro-organismes, des plantes, des animaux et de l’homme, on connaîtrait tout de la vie, explique Giacomo Cavalli, de l’Institut de génétique humaine de Montpellier. C’était un véritable dogme : dans la cellule, le flux d’informations ne circule que dans un sens - le code ADN est lu et traduit sous forme de molécules, les protéines. Mais nous sommes en train de vivre une vraie révolution ! Des mécanismes externes à la cellule peuvent favoriser l’expression d’un gène ou, au contraire, le déprimer et le contraindre au silence. L’information circule donc dans les deux sens." Autrement dit, il existe des processus qui se superposent au code génétique, ce que l’on appelle l’épigénétique - épi signifie en grec "au-dessus". Un terme proposé dès 1942 par le biologiste et philosophe britannique Conrad Waddington pour désigner l’étude des mécanismes par lesquels les gènes déterminent le phénotype, c’est-à-dire nos caractères propres (couleur des yeux, de la peau et des cheveux, morphologie, sensibilité aux maladies, etc.). On s’aperçoit, depuis une quinzaine d’années, que ces mécanismes sont probablement influencés par notre environnement, nos comportements (alimentation, addictions…), mais aussi notre bien-être psychique, le stress, la violence, etc. Un lien puissant entre nos cellules et nous, dont on saisit encore mal les mécanismes.
Sans épigénétique, pas d’organismes vivants complexes et, donc, pas d’humains. Depuis les années 1990, grâce notamment à des travaux auxquels a participé Giacomo Cavalli, les scientifiques étudient la façon dont, au moment de la conception, elle contrôle la différenciation des cellules à partir d’un même bagage génétique. Chacune de celles-ci peut en effet activer ou éteindre des gènes. Ces processus sont irréversibles, comme une mémoire moléculaire figée jusqu’à la mort. Il n’est pas question qu’un neurone donne naissance, en se divisant, à des globules rouges ! De même, une abeille reine ne se transformera jamais en ouvrière ; entre les deux insectes, plus de cinq cents gènes portent des différences épigénétiques stables.
Injection d’ARN extrait de spermatozoïdes de mâles traumatisés
"On considère qu’un embryon se forme à partir d’un génome d’origine parentale dont l’expression est ensuite modifiée par l’environnement, complète Claudine Junien, professeure émérite de génétique médicale à l’université de Versailles-Saint-Quentin. Un “capital santé” se constitue pendant son développement puis pendant la petite enfance, pour évoluer par la suite. Nous sommes particulièrement sensibles à notre environnement au cours des mille premiers jours de la vie, lors de la gestation et des deux ans qui suivent." "De nombreuses pathologies qui se déclarent à l’âge adulte pourraient avoir un lien avec des événements précoces, confirme Giacomo Cavalli. Trois périodes semblent propices à d’importants changements d’ordre épigénétique : le développement embryonnaire, la petite enfance et l’adolescence, en raison des grands bouleversements hormonaux qu’elle engendre."
Pour Éric Renard, qui dirige le service d’endocrinologie-diabétologie du CHU de Montpellier, le diabète est l’un des meilleurs exemples de la relation épigénétique entre pathologie et environnement. "La maladie est rare chez les aborigènes qui ont un mode de vie traditionnel dans le bush australien", et sont prédisposés à survivre à la pénurie de nourriture. Ce génotype d’épargne - on brûle moins d’énergie à activité égale - est peu exprimé en situation normale. Mais une alimentation trop riche en graisses et en sucres, la sédentarité ou le stress chronique peuvent enclencher des mécanismes épigénétiques qui stimulent son expression. "Quand les aborigènes s’installent en ville, poursuit Éric Renard, ils prennent du poids et une résistance à l’insuline apparaît - un signe précurseur du diabète. Mais s’ils retournent vivre comme auparavant, le diabète disparaît." Dans bien des cas, à l’âge adulte, les marques épigénétiques sont ainsi réversibles, et c’est une excellente nouvelle ! Mais peuvent-elles se transmettre à la descendance ? Le sujet divise les scientifiques.
Cet héritage est aujourd’hui largement démontré sur les plantes, et semble l’être aussi sur le rat et la souris. Une étude sur des souriceaux mâles pilotée en 2014 par Isabelle Mansuy, neuro-épigénéticienne à l’université et l’École polytechnique fédérale de Zürich (Suisse), montre ainsi une corrélation spectaculaire. "Nous avons séparé, de manière répétée et imprévisible, des petits de leur mère, tout en stressant cette dernière avant de la rendre à sa progéniture", raconte l’épigénéticienne. Et cela, de la naissance à l’âge de deux semaines, soit sept jours avant le sevrage. "Une fois adultes, ces souriceaux ont développé toutes sortes de pathologies : des symptômes dépressifs, des comportements antisociaux et à risque, des problèmes de mémoire et de glycémie." Des caractéristiques retrouvées dans leur descendance. "Parfois jusqu’à la quatrième génération ! Toutefois, cela ne suffit pas à prouver qu’il y a une transmission épigénétique."
Des expériences complémentaires ont révélé que certains symptômes liés à ce stress des souriceaux étaient transmis lors d’une fécondation in vitro. Mais aussi lorsque les chercheurs injectaient, dans un oeuf fécondé "normal", du matériel cellulaire fabriqué à partir du génome, de l’ARN extrait de spermatozoïdes de mâles traumatisés (lire l’encadré ci-dessous). "Il s’agit d’un mécanisme multi-factoriel dont on est loin de tout connaître", conclut Isabelle Mansuy, laquelle a pu montrer en 2016 que les effets d’un traumatisme précoce sur les mâles pouvaient s’estomper si ces derniers vivaient assez longtemps dans des conditions "agréables", et même cesser de se transmettre à la descendance.
Enzyme inhibée descendance préservée
Lorsqu’une cellule se divise, notamment un spermatozoïde, un gène porteur d’une molécule de méthyle - une marque épigénétique - est dans un premier temps dupliqué sans cette molécule. Puis une enzyme baptisée DNMT1 replace la marque au voisinage du gène. Mais si le marqueur est délétère, par exemple associé à une maladie dégénérative ou à un cancer, la cellule issue de la division en sera porteuse, elle aussi. C’est pour cela que les biochimistes tentent aujourd’hui de mettre au point une substance capable d’inhiber l’enzyme DNMT1, ce qui pourrait aider à lutter contre des pathologies et éviter qu’elles ne soient transmises à la descendance.
Des effets délétères transmis jusqu’à la cinquième génération
De son côté, le groupe de Michael Skinner (université d’État de Washington) a observé la transmission d’effets délétères (baisse de fécondité, atteintes testiculaires, etc.) sur la descendance de rates en gestation soumises à différents perturbateurs endocriniens. Ils s’observent jusqu’à la quatrième ou la cinquième génération et sont accompagnés de marques épigénétiques sur l’ADN dans les spermatozoïdes et les ovules des descendants des animaux exposés.
Mais qu’en est-il pour les humains, chez qui de telles expériences sont impossibles ? "Il faut en passer par l’épidémiologie", prévient Claudine Junien. En Suède, une étude sur la descendance de trois cents personnes nées entre 1890 et 1920 laisse penser que la malnutrition dans l’enfance entraîne une baisse du risque de mortalité cardiovasculaire deux générations plus tard. Aux Pays-Bas, des travaux sont allés plus loin. Ils portent sur les enfants et petits-enfants d’une cohorte d’un millier de femmes enceintes pendant "l’hiver de la faim" (1944-1945), quand la population néerlandaise était affamée par l’embargo nazi. Ceux-ci ont développé plus d’hypertension, d’obésité et de diabète que la moyenne. Au début de l’année 2018, une nouvelle étude des enfants de la cohorte a montré, chez une partie d’entre eux, une modification des marques sur les gènes impliqués dans le métabolisme. "Mais attention, insiste Claudine Junien, une corrélation ne signifie pas un lien de cause à effet." On peut par exemple imaginer que c’est la maladie qui provoque l’apparition de ces marques et non l’inverse.
Ces résultats sur une diffusion présumée de marques épigénétiques à travers plusieurs générations sont, pour beaucoup de généticiens, une vraie surprise. "On pensait qu’une telle transmission n’était pas possible, car les marques épigénétiques sur l’ADN sont effacées à deux reprises", explique Giacomo Cavalli. Cette remise à zéro intervient une première fois pour spécialiser les gamètes dans leur fonction reproductrice. Elle se produit ensuite dès la fécondation pour que les cellules de l’embryon soient capables de se spécialiser afin de former l’ensemble des tissus du corps. "Mais on sait désormais qu’elle n’est pas parfaite ; et d’autres processus peuvent la contourner", indique le chercheur.
"L’épigénétique est un mécanisme très puissant, confirme Pierre Bustany, professeur de neuropharmacologie au CHU de Caen. Il peut agir en quelques jours, voire quelques heures. Les cellules du foie n’expriment pas les mêmes gènes au cours de la journée. C’est pour cela qu’on choisit souvent l’heure des chimiothérapies de façon à réduire leur toxicité et accroître leur efficacité." Pour le chercheur, de nombreux troubles seraient transmissibles au travers de l’épigénétique. "Par exemple, la mélancolie, certaines dépressions, la schizophrénie, mais aussi les effets d’une violence subie pendant l’enfance. Beaucoup d’altérations du comportement sont liées à une modification de la substance blanche qui connecte les différentes aires du cerveau, et l’épigénétique joue très vraisemblablement un rôle, par exemple en modifiant l’expression de gènes dans des neurones. On peut aussi penser que le stress agit par ce biais sur l’immunité." L’épigénétique pourrait également expliquer l’effondrement brutal du système immunitaire consécutif à un choc psychique, constaté par bien des médecins qui accompagnent leurs patients face à des pathologies lourdes comme le cancer.
En attendant les épi-médicaments, commençons par modifier notre mode de vie
Une meilleure connaissance de tous ces mécanismes permet d’envisager des médicaments capables de modifier des marques délétères. "Mais les premiers épi-médicaments expérimentés, par exemple en oncologie, ne ciblent pas un type de cellule ; ils “visent large” et entraînent de lourds effets secondaires", regrette Giacomo Cavalli. "Une seconde génération de molécules est à l’étude », se réjouit Pierre Bustany, qui précise que "beaucoup d’argent est également investi dans ce qu’on appelle la DNMT1 (cf encadré plus haut), une enzyme qui pourrait inhiber la transmission de certaines marques épigénétiques à la descendance."
En attendant de disposer d’épi-médicaments, il est déjà possible de soigner son mode de vie. "Il ne s’agit pas de ne boire que du jus de grenade ou de saupoudrer tous ses plats de curcuma. Tout excès d’un aliment se fait au détriment d’un autre, insiste Claudine Junien. On peut se faire beaucoup de bien en tendant vers un équilibre global, en adoptant une alimentation saine et une activité physique sans exagération, ainsi qu’en évitant le stress." "Il faut aussi revenir à des aliments moins transformés, ajoute Isabelle Mansuy. Et réduire, dans la mesure du possible, notre exposition aux perturbateurs endocriniens." Sans oublier "de se faire plaisir", conclut Pierre Bustany. L’épigénétique serait-elle la clef qui déverrouille notre accès au bien-être ?
Denis Delbecq