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A Houston, les étudiants échafaudent un tribunal anti-Covid

Alors que la courbe des infections au coronavirus a repris une croissance quasi exponentielle aux Etats-Unis, au Texas, les mesures d’obligation de port du masque ou de confinement tardent à venir.
par Thomas Harms, Correspondance à Houston (Texas)
publié le 23 novembre 2020 à 20h11

A El Paso, des hommes en tenues rayées sortent des corps des hôpitaux pour les mettre dans des camions frigorifiques. Ce sont des détenus des prisons de la ville de l’ouest du Texas. Aucun volontaire n’était prêt à faire ce travail, alors les prisonniers le font. Ils sont payés 2 dollars de l’heure pour cette tâche, et espèrent une remise de peine.

Ce qui devait être temporaire dure depuis début novembre. A El Paso, le taux d’occupation des hôpitaux par des personnes atteintes de Covid-19  frôle les 40 % et le taux de décès s’élève à 1,3 pour 1 000 habitants, plus de deux fois plus qu’à Houston ou Dallas.

Avant le week-end, les autorités ont finalement accepté d’envoyer des gardes nationaux pour s’occuper des transports mortuaires. Précisément 36 agents. Un nombre qui peut sembler dérisoire. Quand il s’agissait de fermer et de sécuriser la frontière avec le Mexique, le gouverneur promettait d’envoyer 1 000 gardes nationaux.

Querelle d’autorités

Le juge du comté d'El Paso, Ricardo Samaniego, a bien essayé d'imposer un confinement pour ralentir la pandémie mais le très républicain procureur du Texas, Ken Paxton, a fait bloquer cette mesure qui selon lui empiète sur l'autorité du gouverneur. «Greg Abbott [le gouverneur en question] a décrété un confinement, s'indigne Ricardo Samaniego, et il s'énerve quand moi je prends la même décision, mais les chiffres à El Paso sont dix fois pires que quand il a décidé de fermer le Texas, fin mars. L'objectif c'est de sauver des vies et non de savoir qui a raison ou tort.»

Fin juin, 5 102 personnes étaient hospitalisées au Texas à cause du coronavirus, et le gouverneur ordonnait la fermeture des bars et la réduction de la jauge des restaurants. La semaine dernière, 7 400 personnes ont été hospitalisées et le taux de tests positif dépasse les 10 % depuis trois semaines. Pourtant, Greg Abbott refuse de nouvelles mesures de confinement.

Tribunal du Covid

Sans directives claires des autorités, les gestes barrières sont de moins en moins respectés, le non-port du masque redevient la norme, et avec un vaccin à l'horizon, les Texans baissent la garde. «Une simple connaissance scientifique de base montre pourtant qu'il faut obliger à porter le masque et réinstaller un confinement. Mais les autorités du Texas préfèrent suivre leurs croyances ou positions politiques plutôt que de suivre l'avis des professionnels. C'est vraiment frustrant.» Melody a 20 ans et un avis bien tranché. Pour financer ses études de santé, elle travaille à mi-temps dans un supermarché. Cet été, une cliente ne portant pas de masque, refusant tout geste barrière, lui a toussé dessus. Melody, testée positive, est restée près de trois semaines au lit. Elle a encore des symptômes de temps en temps.

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La Rice University de Houston où elle étudie fait signer à tous un code de bonne conduite face au Covid. Les contrevenants sont jugés. Littéralement. Melody fait partie de ce tribunal du Covid. Elle a déjà participé à 12 «procès» sur la soixantaine d’affaires traitées par cette cour universitaire spéciale. Il y a par exemple le cas de cet étudiant qui s’est déplacé dans un autre dortoir du campus (alors que le simple fait de changer d’étage est interdit), ou cet autre qui ne portait pas de masque, comme ses publications sur Instagram en apportent la preuve.

«On est pas là pour fliquer, mais les gens ne se rendent pas compte que ce qu'ils font est grave», poursuit Melody. Les peines, évidemment, sont symboliques : la rédaction de deux pages sur le bien-fondé des mesures sanitaires, devenir quelques heures «ambassadeur des gestes barrières» sur le campus…

Dénonciations anonymes

L'administration de l'université a bien sûr coopté cette cour spéciale. «Ça fonctionne mieux que si nous punissions ceux qui contreviennent aux règles sanitaires. C'est plus efficace de voir ses pairs donner l'exemple, explique Emily Garza, la directrice de la justice étudiante. La plupart du temps, c'est juste une erreur de jugement, ce n'est pas volontaire. Ce tribunal permet à chacun de réfléchir à ses actions et d'éduquer les étudiants.»

Mais comme la plupart des dénonciations sont anonymes, l’impression d’être surveillé est bien présente sur le campus de la prestigieuse université. Pour autant, l’administration et de nombreux étudiants soutiennent ce tribunal du Covid, arguant que cela permet à la Rice University et à ses 7 500 étudiants d’avoir un très faible taux d’infection.

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Le Texas recense plus de 26 000 cas de coronavirus détectés dans 84 facs et grandes écoles, le chiffre le plus élevé de tous les Etats-Unis. Alors que beaucoup d’universités américaines ont demandé aux étudiants de ne pas revenir dans les facs après Thanksgiving, à la fin de la semaine, et de finir le semestre en ligne, au Texas les cours reprendront normalement.

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