A l'approche du cinquième anniversaire de l'Accord de Paris, noué le 12 décembre 2015 lors de la COP21, Corrine Le Quéré, climatologue franco-canadienne et présidente du Haut conseil pour le climat (HCC), tire le bilan des efforts menés par la communauté internationale pour le climat. Si cet accord international a poussé les Etats à s'engager dans la lutte contre le changement climatique, les efforts ne sont toujours pas à la hauteur.
Depuis cinq ans, les émissions de gaz à effet de serre (GES) continuent à augmenter. Certes plus faiblement qu'avant, mais il faut désormais que ces émissions globales baissent pour être dans une trajectoire compatible avec l'Accord de Paris. Alors que le prochain retour des Etats-Unis à la table des négociations devrait relancer la mobilisation internationale, la crise du coronavirus représente à la fois un gros risque et une opportunité pour le climat, estime la climatologue.
La France, qui occupait il y a dix ans une position unique en raison de sa production électrique en grande partie décarbonée, s'est faite rattraper par plusieurs pays. Sa stratégie nationale bas carbone souffre aujourd'hui d'un manque de pilotage cohérent. Interview.
LA TRIBUNE - Cinq ans après son adoption lors de la COP21, où en est l'accord de Paris sur la lutte contre le changement climatique ? Est-ce que la trajectoire fixée est respectée par la communauté internationale ?
Corinne Le Quéré - L'ambition de l'Accord de Paris est de limiter le réchauffement climatique bien au-dessous de 2°C et de poursuivre les efforts pour le limiter à 1,5° C. Mais en parallèle, les engagements pris par les pays étaient alignés sur une trajectoire insuffisante, qui nous amenait à un réchauffement de 3°C. C'est cette trajectoire qui a été suivie au cours des dernières années jusqu'en 2019. Depuis 2015, on a ainsi constaté une augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 0,9% par an en moyenne. Ces émissions ont continué à augmenter, mais elles ont augmenté moins rapidement que la décennie précédente où elles augmentaient en moyenne de 3% chaque année. Il y a donc eu une inflexion des émissions globales. Mais la trajectoire que l'on observe est loin d'être suffisante pour atteindre l'objectif de neutralité carbone en 2050, il faudrait que les émissions globales diminuent. Les efforts ne sont pas à la hauteur.
Quid de la France ? Est-elle bonne ou mauvaise élève ?
C. L-Q - L'ambition climatique de la France est très importante. Elle s'est fixée pour objectif d'atteindre la neutralité carbone en 2050, ce qui fait partie des objectifs les plus ambitieux. Et, elle s'est également dotée d'une loi énergie climat. Par ailleurs, elle fait partie du groupe de pays où les émissions diminuent. En France, les émissions de GES diminuent de 1% par an depuis plus de dix ans. Mais ce rythme de réduction est assez faible. A ce rythme, on ne sera jamais à la neutralité carbone en 2050. Pour l'atteindre, il faut tripler le rythme de baisse des émissions et ainsi enregistrer une réduction de au moins 3% chaque année.
Il y a dix ans, la France avait une position unique car sa production d'électricité était en grande partie décarbonée en raison de la force du nucléaire. Mais aujourd'hui, de nombreux autres pays ont rattrapé la France en sortant du charbon, comme les pays scandinaves, le Royaume-Uni et le Canada par exemple. Maintenant, le travail, plus difficile, consiste à réduire les émissions très distribuées dans la société, provenant du secteur automobile, des bâtiments ou encore de l'agriculture.
La stratégie nationale bas carbone de la France n'est pas assez organisée. Il y a beaucoup d'efforts et de mesures mises en place dans les différents secteurs mais nous ne savons pas si ces mesures nous mettent dans la trajectoire pour atteindre la neutralité carbone. Il y a un vrai manque de pilotage d'ensemble.
La trajectoire fixée il y a cinq ans à Paris n'est aujourd'hui pas respectée. Peut-on donc parler d'échec ?
C. L-Q - L'accord de Paris n'est pas un succès total puisque les objectifs de températures ne sont pas respectés, mais on ne peut pas dire que c'est un échec car on voit bien que les pays s'engagent. Cet accord joue un rôle clé dans l'optique d'une transition juste. Les pays voient qu'ils ne sont pas les seuls à agir sur le climat et que d'autres mettent aussi en place des lois et des mesures pour mettre en œuvre cette trajectoire. Récemment, plusieurs pays, dont la Chine, la Corée du Sud et le Japon ont pris des engagements ambitieux en termes de neutralité carbone. [Objectif fixé en 2060 pour la Chine, premier émetteur mondial de GES, et en 2050 pour les deux autres pays, ndlr]. Le fait que les émissions globales de GES aient augmenté de 1% chaque année et non de 3% est aussi une avancée. Il faut reconnaître toutefois, que la position des Etats-Unis a nui à la vitesse d'exécution de l'accord. Le fait que le deuxième plus grand émetteur ait eu une position négative ces dernières années vis-à-vis des actions climatiques a ralenti le mouvement de décarbonation.
Mais l'autre point positif c'est que l'accord de Paris a été bien conçu. Il comporte en effet une clause qui impose aux parties de renforcer leur engagement tous les cinq ans. Les pays doivent donc revenir avec un plan climat plus ambitieux que le précédent. C'est ce qu'on appelle les "contributions déterminées au niveau national". Cette année, à partir du 12 décembre, nous allons voir les pays présenter des engagements plus sérieux, ce qui devrait permettre de limiter le réchauffement au-dessous de la trajectoire des 3°C que nous avons empruntée jusqu'à maintenant.
Ces cinq dernières années ont aussi été marquées par le besoin de conciliation entre transition écologique et justice sociale...
C. L-Q - C'est une thématique très importante que l'on peut appréhender de plusieurs façons : comme la formation et l'accompagnement vers les emplois de demain ou encore un accompagnement financier. Cet accompagnement doit se faire à toutes les échelles : au niveau national, local et à l'échelle des individus, notamment auprès des personnes les plus vulnérables économiquement. Les conflits autour de la taxe carbone en France ont révélé des failles sur ce point-là. La création de la Convention citoyenne pour le climat [qui a pour mandat de définir une série de mesures permettant d'atteindre une baisse d'au moins 40% des émissions de GES d'ici 2030 dans un esprit de justice sociale, ndlr] est une bonne approche. Toutefois, il reste difficile d'avoir une réponse parfaite. Lorsqu'on réalise des ajustements, on ne sait jamais qui sera dans la position la plus vulnérable.
Depuis quelques mois les contentieux climatiques se multiplient, comme en France où le Conseil d'Etat, saisi par la ville de Grande-Synthe, vient de donner trois mois au gouvernement pour prouver qu'il respecte ses engagements climatiques. Quel rôle peut jouer la justice climatique dans la lutte contre le réchauffement au cours des prochaines années ?
C. L-Q - C'est une évolution très intéressante que l'on observe un peu partout dans le monde. En décembre 2019, la cour suprême des Pays-Bas a ainsi contraint le gouvernement à revoir à la hausse ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre [dans l'affaire qui l'opposait à l'association Urgenda soutenue par 900 citoyens, ndlr]. C'est intéressant car cela soulève la question de l'engagement légal d'un gouvernement lorsqu'il fixe un objectif climatique peu clair. Cela ne sert à rien d'avoir des objectifs ambitieux si, en parallèle, on ne met pas en place, avec plus de sérieux, une stratégie et des moyens cohérents.
La crise sanitaire, qui s'est traduite en grave crise économique, ne risque-t-elle pas d'affaiblir la lutte pour le climat ?
C. L-Q - Avec la crise sanitaire, les émissions ont sensiblement baissé [l'agence nationale de l'énergie table sur une réduction des émissions de CO2 de 6,6% en 2020, ndlr]. Mais cette baisse est contrainte. Ce n'est, en rien, une baisse structurelle. Nous avons toujours les mêmes infrastructures, les mêmes voitures polluantes. Nous les avons simplement moins utilisées. Cette crise amène à la fois un gros risque et une opportunité dans le cadre de la relance de l'économie. Il y a un gros risque de retour à la trajectoire antérieure insuffisante car la plupart des plans de relance consacrent de lourds investissements vers l'économie conventionnelle, qui est à la base de l'énergie fossile. Mais certains plans de relance, notamment en Europe, investissent également massivement dans les énergies renouvelables, la mobilité électrique, la rénovation énergétique du bâtiment et les emplois de demain.
En France, par exemple, près d'un tiers du plan de 100 milliards d'euros est consacré à la transition écologique. Est-ce suffisant ?
C. L-Q - Cela dépend de ce que l'on fait avec les deux autres tiers. Le chiffre compte. 30 milliards d'euros, selon le ministère des Finances, c'est beaucoup. Mais, le plus important c'est surtout la cohérence de l'ensemble et c'est d'ailleurs le rôle du Haut conseil pour le climat. Notre mission est d'évaluer si le gouvernement a une stratégie cohérente. Il ne faut pas, en parallèle, investir dans des infrastructures qui nous maintiennent dans nos habitudes d'avant. Ce qui compte c'est qu'il n'y ait pas des efforts financiers qui viennent effacer les efforts menés pour aller vers la neutralité carbone. Il faut arrêter de produire des voitures thermiques, il faut arrêter d'installer des chauffages à énergie fossile et de manière générale de subventionner les énergies fossiles. Cette réorientation des investissements crée de l'emploi et nous rend plus résilient aux crises futures.
Le retour des Etats-Unis dans l'accord de Paris peut-il donner un nouveau souffle?
C. L-Q - Le plan climat de Joe Biden a aussi pour objectif la neutralité carbone en 2050. Le fait que le deuxième pays émetteur de GES dans le monde ait un objectif ambitieux va pousser les autres pays à revoir à la hausse leurs propres ambitions. Par ailleurs, les Etats-Unis sont très actifs en matière technologique. C'est le seul pays, par exemple, à avoir massivement investi dans les technologies de capture et de stockage du carbone. Leur contribution sur les innovations technologiques va faire chuter les prix.
Quels espoirs nourrissez-vous pour la COP 26, qui se tiendra à Glasgow en novembre 2021 ?
C. L-Q - Le plus grand défi consistera à obtenir des rehaussements d'objectifs climatiques qui nous placent dans une trajectoire de 1,5°C. Il faut supprimer cette discordance entre les ambitions en matière de limitation du réchauffement climatique d'un côté et les engagements pris par les Etats de l'autre. Par ailleurs, l'attention doit désormais être portée sur comment les Etats vont atteindre ces objectifs.
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