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Climat : quand la science parle (1/4)

«Les invasions biologiques sont la deuxième cause d’extinction des espèces»

Mardi, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ouvre sa 47e session plénière à l’Unesco, à Paris. A cette occasion, Céline Bellard, écologue, décrypte les conséquences dévastatrices du changement climatique sur la biodiversité.
par Aude Massiot
publié le 13 mars 2018 à 16h53

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) célèbre ses trente ans et ouvre sa 47session plénière à l'Unesco, mardi, à Paris. Pour l'occasion, quatre chercheurs spécialistes des incidences du changement climatique sur la planète font, pour Libération, un état des lieux de ce qui nous attend dans les années à venir. Premier volet : l'effet sur les invasions biologiques. Céline Bellard est écologue à l'University College of London, en Angleterre, et spécialisée sur l'effet du changement climatique sur la biodiversité.

Qu’est-ce qu’une espèce invasive ?

C’est une espèce exotique introduite par l’homme qui va s’étendre en dehors de son aire native, se reproduire et bouleverser son nouvel environnement. Elles ont souvent une très forte capacité de dispersion, d’adaptation, de prédation et de compétition. Les invasions biologiques sont la deuxième cause d’extinction des espèces.

Le changement climatique provoque-t-il des invasions biologiques ?

Les invasions sont le résultat de plusieurs facteurs combinés, dont notamment la perturbation des habitats. Le changement climatique peut aussi favoriser les invasions biologiques des espèces qui ont des capacités plus fortes d’adaptation aux environnements changeants. Elles profitent notamment des habitats perturbés. Le phénomène d’invasion se réalise en plusieurs étapes : introduction, établissement, expansion. L’introduction peut aussi être causée par le changement climatique. Les événements extrêmes, comme les inondations et les ouragans, qui vont se multiplier et s’aggraver, déplacent des espèces dans de nouveaux territoires. Après l’ouragan Katrina, qui a dévasté la Louisiane en 2005, des chercheurs ont trouvé plusieurs centaines de nouvelles espèces qui n’étaient pas présentes dans la région avant. Actuellement, des questions se posent sur les conséquences de l’ouverture des voies de navigation dans l’Arctique à cause de la fonte des glaces. Les trajets seront plus rapides d’un bout à l’autre de la planète. Certaines espèces invasives devraient réussir à survivre le transport et se déplacer à travers le monde dans des régions où elles n’existaient pas.

Quelles sont les régions désignées comme des «hotspots d’invasion» ?

On trouve principalement les pays qui ont été aux carrefours des voies de commerce ces derniers siècles, comme l’Europe et l’Australie. Avec la mondialisation, on voit apparaître de plus en plus de hotspots en Asie. Le changement climatique a aussi pour conséquence un déplacement vers le nord d’espèces invasives. Globalement, on ne voit pas d’augmentation de leur aire de répartition. Ce sont plus des déplacements de ces espaces de répartition, ce qui entraîne d’importantes conséquences pour la biodiversité et les écosystèmes envahis. Par exemple, le frelon asiatique a été introduit en 2004 dans le sud de la France. Il va continuer son invasion vers le nord jusqu’à ce que le climat soit une barrière à son développement.

Ces espèces réagissent mieux à la hausse des températures mondiales ?

Elles se développent dans des gammes de températures plus larges que la moyenne, et ont moins de mal à s’adapter aux changements thermiques. En revanche, certaines augmentations de précipitation, dans les régions tropicales, pourraient leur être fatales. Mais, en parallèle, d’autres espèces introduites qui ne sont pas encore invasives pourraient le devenir dans ces régions tropicales. Les Antilles sont particulièrement concernées. Les plantes insulaires ont de plus faibles capacités de dispersion. Avec la montée du niveau des océans et donc la réduction des territoires, il y aura une augmentation de la compétition pour les ressources. Certaines espèces pourraient prendre le dessus sur d’autres, notamment des espèces envahissantes qui sont plus efficaces pour s’approprier les ressources que les espèces natives. Il faut mettre en œuvre des mesures de suivi et de gestion pour éviter que cela arrive.

Les plantes réagissent-elles de la même façon que les animaux ?

Face au changement climatique, les plantes vont avoir des réponses différentes, notamment grâce à l'augmentation des concentrations de CO2 dans l'air. Cela pourrait accélérer leur croissance. A Tahiti, miconia, une plante que l'on appelle aussi le «cancer vert», a envahi près de deux tiers de l'île en étouffant le reste de la végétation. Le changement climatique pourrait lui permettre de se développer dans d'autres îles où elle est peu présente. Aux Etats-Unis, des chercheurs ont aussi identifié que le changement climatique accélérerait fortement la croissance de l'épine-vinette, une plante envahissante. De leur côté, les vertébrés vont plutôt profiter d'environnement propice à leur reproduction. Les îles sont, par exemple, des territoires où l'on a observé le plus d'invasions de mammifères, comme les rongeurs. Les espèces insulaires qui ont vécu uniquement sur ces lieux fermés n'ont pas développé de comportement de prédation et d'évitement. Elles sont facilement dévastées par d'autres espèces introduites par l'homme, qui ont de plus grandes capacités d'adaptation.

Peuvent-elles transmettre des maladies ?

Oui, beaucoup en sont des vecteurs. Le moustique-tigre, par exemple, qui est porteur de la malaria et du virus Zika, voit son aire de vie augmenter sous l’influence du réchauffement de l’atmosphère. Cela a des effets économiques importants. Le développement et déplacement des pestes sont dévastateurs pour l’agriculture, surtout dans les pays en développement qui sont très touchés par le changement climatique.

Existe-t-il des programmes institutionnels pour lutter contre ces invasions ?

Au niveau européen, une réflexion a été lancée, depuis 2014, sur comment endiguer les invasions biologiques. Une liste de 37 espèces envahissantes a été dressée. En Nouvelle-Zélande, qui est aussi très touchée par le phénomène, le gouvernement a fixé un objectif d’éradication des prédateurs invasifs d’ici 2050. Une application en ligne invite le public et les chasseurs à participer à ces éliminations.

Demain, retrouvez l'interview d'Isabelle La Jeunesse, spécialiste des incidences du changement climatique sur l'eau, dans le deuxième volet de la série «Climat : quand la science parle».

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