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Big bang : ainsi serait apparu l’univers

Publié le 13 Déc 2020 à 12H00 Modifié le 13 décembre 2020
Big bang : ainsi serait apparu l’univers

Le big bang est à ce jour le meilleur modèle théorique que les chercheurs aient imaginé. Une hypothèse née de l'impossibilité de "voir" au-delà de 13 milliards d'années… limite que les astrophysiciens n'ont de cesse de repousser pour remonter jusqu'au temps zéro.

La première étincelle, le tout premier milliardième de milliardième de milliardième… de seconde reste une énigme. Car au temps « zéro » n’existent ni atomes, ni étoiles, ni galaxies… Juste une « écume quantique » soumise aux quatre forces fondamentales de la nature. La pression et la température sont alors si phénoménales que l’espace-temps semble posséder une courbure infinie… Une bizarrerie qu’aucune théorie physique actuelle ne permet d’interpréter. Telle est pourtant la spéculation sur laquelle repose le scénario de la naissance de l’Univers, il y a 13,8 milliards d’années, fourni par le modèle cosmologique de référence du big bang.
>>Lire aussi : Notre Univers n’aurait pas besoin de big bang pour exister

Le Big Bang, le meilleur scénario théorique

Une hypothèse née de l’impossibilité de « voir » à l’aide des télescopes les événements survenus avant 380 000 ans, lorsque les photons éclairent notre Univers de leur première lumière. « Avant, on extrapole. Et lorsque nous arrivons à 10-32 seconde, nous ne sommes plus sûrs de rien… » , résume Françoise Combes, de l’Observatoire de Paris. 10-32 : c’est l’infime fraction de seconde qui marque la fin de ce que les théoriciens appellent l’inflation cosmique, une période ultracourte durant laquelle notre Univers a vu son volume doubler 100 fois de suite. Un modèle désormais indissociable du big bang, et qui reste à ce jour le meilleur scénario théorique des prémices de l’Univers.

Faire parler l’écho du big bang

             Fluctuations de température          

La majorité de nos connaissances sur l’inflation provient de l’analyse des fluctuations de température du FDC. Les variations, de l’ordre de 10-5 degré (0,00001) par rapport à celle du rayonnement d’un corps noir que le FDC est censé avoir, révèlent l’empreinte des fluctuations primordiales à l’origine des grandes structures de l’Univers.

Distorsions spectrales

Les écarts spectraux par rapport au rayonnement d’un corps noir permettraient d’en savoir plus sur l’évolution de l’inflation. Mais les seules observations de distorsions spectrales primordiales du FDC qui permettraient une telle analyse datent du satellite COBE (années 1990) et n’ont permis de recueillir que leurs limites supérieures. Des mesures plus précises sont nécessaires.

Ondes gravitationnelles

Les modèles d’inflation prévoient la production d’ondes gravitationnelles primordiales aux mêmes instants que les fluctuations de densité. Observer les fluctuations de la polarisation de la lumière dues aux ondes primordiales permettrait de valider cette hypothèse. Le satellite LiteBIRD (lancement prévu en 2029) apportera peut-être des éléments de réponse.

À l’origine de ce scénario, la publication, en 1917, de la théorie de la relativité générale d’Einstein. L’application de ses équations montre que l’Univers, loin d’être statique, pourrait être en expansion. En 1929, Edwin Hubble le prouve : plus une galaxie est lointaine, plus elle s’éloigne rapidement de nous. Puis c’est au tour de Georges Lemaître, le premier à avoir évoqué, deux ans avant la découverte de Hubble, la possibilité d’un Univers en expansion, d’introduire en 1931 l’idée d’un « atome primitif » à l’origine de l’espace et du temps – première évocation de ce qu’on appellera plus tard le big bang. >> Le temps s’écoulerait dans deux directions opposées Avec la relativité générale, la question de la création de l’Univers est mathématiquement posée : la géométrie de l’espace-temps, notamment sa vitesse d’expansion, est reliée aux objets présents dans l’Univers. Reste à remonter la chronologie à l’aide des équations. Or, les calculs montrent que plus on s’éloigne dans le passé de l’Univers, plus les objets sont proches les uns des autres, jusqu’à se concentrer en un point. Temps, espace, matière et énergie auraient pris corps il y a 13,8 milliards d’années.

UNE INFLATION, OUI MAIS LAQUELLE ?

Il existe quasiment autant de modèles d’inflation que de théoriciens , plaisante Julien Grain, chercheur à l’Institut d’astrophysique spatiale d’Orsay. Fluctuations de température, distorsions spectrales, ondes gravitationnelles Pour trancher entre ces différentes approches, le fond diffus cosmologique (FDC) reste le meilleur juge. Grâce à lui, nous arrivons à mesurer très précisément les fluctuations de densité 380 000 ans après le big bang, ce qui nous permet de remonter à leur densité en fin d’inflation, et donc à l’inflation elle-même , explique le chercheur. Environ 30 % des modèles ont déjà été mis hors course à la suite des dernières mesures du FDC par le satellite Planck en 2018. Pour les autres, il faudra attendre des données complémentaires. Notamment des ondes gravitationnelles primordiales produites par l’inflation, susceptibles d’avoir laissé leur empreinte sur le FDC. Ce que de futures missions tenteront de mesurer.

« C’est le modèle du big bang chaud. Si on prend le calcul au pied de la lettre, tout se réduit en un point et ça explose », résume Vincent Vennin, spécialiste de l’Univers primordial au laboratoire AstroParticule et Cosmologie de Paris. Et c’est en ce point, appelé « singularité primordiale », que les équations d’Einstein deviennent folles. Aucune théorie physique ne peut en effet décrire cette singularité, véritable horizon de notre compréhension. Et ce même si le modèle du big bang a hérité du nom de ce « temps zéro »… Qu’à cela ne tienne, la singularité primordiale est admise, faute d’être comprise, et le modèle du big bang chaud, sur la base de la relativité générale, s’impose alors comme la meilleure construction que l’on puisse avoir de la formation de notre Univers en expansion. Mais l’histoire se corse à la fin des années 1970, où des observations cosmologiques semblent contredire le modèle. Un paradoxe, le « problème de l’horizon », émerge. La cartographie des grandes structures de l’Univers – notamment la répartition des galaxies -présente en effet une distribution identique dans toutes les directions de l’espace visible. Sauf que les solutions des équations d’Einstein appliquées aux régions les plus éloignées de notre horizon cosmologique impliquent, elles, une déconnexion causale : même si de la lumière était partie de la première région à l’origine de l’Univers, elle n’aurait pas pu atteindre la deuxième tant elles étaient éloignées. « Deux objets très distants au départ peuvent donc ne jamais avoir pu communiquer entre eux, et devraient donc présenter des propriétés différentes « , complète Vincent Vennin. Comment expliquer alors que des structures distantes de 80 milliards d’années puissent avoir exactement les mêmes propriétés ? En 1979, l’Américain Alan Guth, en même temps que le Russe Alexeï Starobinski, propose une idée radicale pour régler ce problème de l’horizon. Le principe est le même : extrêmement violente et très courte, cette phase d’expansion accélérée aurait eu lieu dans les tout premiers instants de l’Univers. À 10-35 seconde environ, l’Univers, très hétérogène, est constitué d’un vide quantique rempli de fluctuations à énergie constante. Certaines de ces régions parviennent à contrer la gravitation et grossissent de façon démesurée, avec pour moteur une particule dominée par son énergie potentielle, appelée inflaton. Ces bulles d’inflatons dominent rapidement toutes les régions de l’Univers. Sa densité s’apparente alors à celle d’une centaine de galaxies dans le volume d’un noyau atomique. Son énergie est phénoménale. En 10-35 seconde environ, son volume augmente au minimum d’un facteur 1030 . Tout ce que nous voyons aujourd’hui résulterait donc d’une toute petite région qui était réunie (en « contact causal ») avant cette inflation. « Si on fait l’hypothèse d’une inflation cosmique, on ramène tout ce petit monde à l’intérieur du même horizon causal « , résume Patrick Peter, physicien théoricien à l’Institut d’astrophysique de Paris. L’inflation résout au passage un deuxième problème : celui de la platitude. Les observations à très grande échelle du cosmos montrent en effet que deux droites parallèles ne se rejoignent jamais et que la somme des angles d’un triangle est toujours égale à 180 ° : autrement dit, que l’Univers visible est géométriquement plat. Ce qui, encore une fois, ne concorde pas avec la relativité générale : « Si on prend une solution quelconque des équations d’Einstein, l’Univers ne devrait pas être plat. Or, ce n’est pas ce qu’on observe » , détaille Patrick Peter. Mais l’inflation, du fait de sa dilatation phénoménale, aplanit la courbure de l’espace. À l’image d’un ballon gonflé de 1030 fois sa taille qu’un observateur, situé sur sa paroi, verrait plat. « D’une certaine façon, avec l’inflation, nous repoussons les problèmes de l’horizon et de la platitude au loin… mais comme ce ‘loin’ n’est pas dans notre Univers visible, on s’en contente » , plaisante Alain Blanchard, de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse.

La densité de l’Univers s’apparente à celle d’une centaine de galaxies compressées dans le volume d’un noyau atomique

« Et il y a un bonus fascinant, ajoute Patrick Peter, qui avoue s’être lancé dans ces domaines précisément pour ce ‘bonus’. Car lors de cette phase d’inflation, tout est poussé dehors, tout disparaît… C’est le vide. » Or, le vide décrit par la mécanique quantique possède des propriétés que nous connaissons bien et qui permettent de créer des fluctuations qui sont amplifiées tout au long de cette phase d’expansion accélérée et donnent naissance aux perturbations primordiales. En cette infime fraction de seconde, l’espace-temps est tellement courbé que des particules sont spontanément créées à partir du vide quantique : ainsi germent les premiers grumeaux, futures grandes structures de l’Univers. « Vous fabriquez tout l’Univers jusqu’à nous sur la base de… rien du tout » , plaisante le spécialiste.

Aujourd’hui, le modèle de l’inflation a fait ses preuves. On devrait plutôt parler « des » modèles, tant il en existe. Parmi ceux-ci, celui appelé « inflation de Higgs », porté par Fedor Bezrukov et Mikhaïl Shaposhnikov, jouit d’un statut particulier. « C’est un des modèles ‘stars’ du moment « , plaisante Vincent Vennin. D’une part, il prend pour référence le modèle de Starobinski, fondé sur une modification de la relativité générale. D’autre part, il utilise le boson de Higgs en guise d’inflaton. Or, le « potentiel de Starobinski » est le même que celui du boson de Higgs, découvert en 2012. « C’est troublant, poursuit le chercheur, ce modèle fournit les meilleurs raccords avec les données, alors que les physiques mises en œuvre n’ont rien à voir : avec le boson, nous sommes dans la physique des particules. Mais le modèle utilisé est une modification de la relativité générale.  » Une concordance étrange qui attise l’intérêt des chercheurs.

Mais de nombreuses autres questions restent posées. Comment l’inflation a-t-elle débuté ? Comment expliquer la singularité initiale ? Y avait-il quelque chose avant le « temps zéro » ? Marque-t-il un début ou une simple suite, une naissance ou un « rebond » ? Les modèles du big bang et de l’inflation n’ont pas fini de faire parler d’eux.

Un article issu du n°293 Hors-série de Science & Vie
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