La neurobiologiste française d’Harvard Catherine Dulac a reçu jeudi 10 septembre le Breakthrough Prize, prix scientifique créé par des entrepreneurs de la Silicon Valley, pour avoir découvert où se trouve l’instinct parental dans le cerveau de la souris. Cette percée aidera peut-être un jour à mieux comprendre les rôles adoptés par les mammifères, dont les hommes et les femmes.
Les six autres scientifiques lauréats 2021 ont été récompensés en sciences de la vie, physique fondamentale et mathématiques, et recevront 3 millions de dollars chacun pour des travaux considérés comme des « percées » (le sens de breakthrough en anglais). La somme est le triple de celle du prix Nobel.
Catherine Dulac est professeure et directrice de laboratoire à Harvard et à l’institut médical Howard Hughes. Elle est récompensée pour avoir identifié les circuits de neurones du cerveau qui, instinctivement, dictent à une souris femelle de généralement prendre soin des souriceaux, et au mâle de les attaquer, selon les circonstances (le comportement infanticidaire est typique des mâles).
Sa contribution majeure est d’avoir montré que mâles et femelles ont chacun en eux les circuits comportementaux des deux sexes : la différence est que leurs hormones activent l’un ou l’autre des circuits, comme un interrupteur. Parfois, c’est l’autre circuit qui s’active, conduisant par exemple une mère stressée à tuer ses petits ou, encore plus spectaculaire, un mâle à s’occuper de sa progéniture lorsqu’il devient père.
« On pense que ce qu’on a trouvé peut s’étendre à d’autres espèces », dont les humains, explique Catherine Dulac, 57 ans, installée depuis vingt-cinq ans aux Etats-Unis. « Il y a un instinct, et l’instinct, c’est justement le fonctionnement de ces neurones, qui sont – je parie – dans le cerveau de tous les mammifères et disent à l’animal, quand il y a des signaux sur la présence de nouveau-nés : “Tu dois t’en occuper” », poursuit la scientifique.
Ces travaux de recherche fondamentale, bien que limités à la souris comme Catherine Dulac le rappelle avec insistance, intéressent évidemment tous ceux qui travaillent sur les questions transgenres, puisque Mme Dulac dit : en chacun, le câblage masculin et féminin existe (du moins chez les souris !).
Familles ou alliés de personnes transgenres l’interpellent régulièrement pour la remercier. « Je suis une scientifique, je regarde les données, je suis neutre », dit-elle, mais elle admet : « Ça me touche énormément. » « Là on se dit : j’ai été utile. »
Quant à l’argent du prix, elle confie qu’elle en donnera une partie à des causes liées à la santé et à l’éducation des femmes et des populations défavorisées.
Restée à Harvard, faute de la laboratoire en France
Originaire de Montpellier, passée par Normale Sup, elle était partie aux Etats-Unis après son doctorat avec la ferme intention de revenir ensuite en France. Catherine Dulac a choisi Harvard et y a fait sa vie, obtenant in fine la double nationalité.
« Mais mon post-doc a très bien marché, et j’ai eu des opportunités pour avoir mon propre labo aux Etats-Unis, et je n’ai eu aucune opportunité d’avoir mon propre labo en France. Là, je me suis vraiment heurtée à une espèce de comportement paternaliste à la con, si je puis m’exprimer ainsi, où les gens disaient : “Oh, vous êtes beaucoup trop jeune pour avoir votre propre budget, vous n’avez pas assez d’expérience pour être indépendante.” »
Elle estime que les Etats-Unis ont des années d’avance sur la France pour promouvoir activement l’égalité hommes-femmes, mais régulièrement, dans les conférences, elle raconte être sous-estimée, ou prise de haut, dans des conversations, par des collègues masculins.
« C’est agaçant, on ne s’attend pas à ce que moi j’aie quelque chose d’intéressant à dire », relève la professeure Dulac, soupirant face à ce qui ressemble fort à un instinct de ses collègues mâles.
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