TRIBUNE

Pour une recherche fondamentale publique et française

En 2018, le budget recherche du CNRS était sept fois inférieur à celui d'Amazon. Si nous ne soutenons pas cette institution, des domaines comme la médecine ou l'intelligence artificielle pourraient dépendre d'intérêts privés et restreindre l'étendue de leurs projets.
par Yves Gaudin, directeur de recherche CNRS à l’Institut de biologie intégrative de la cellule, lauréat 2019 du prix Bettencourt Coups d’élan pour la recherche française
publié le 3 février 2020 à 12h52

Tribune. 2019 a été l'année de la célébration du 80anniversaire du CNRS, premier organisme public de recherche européen, dont l'une des missions majeures est le développement de la recherche fondamentale, celle qui vise à acquérir de nouvelles connaissances sans en envisager a priori une utilisation particulière et qui construit le socle de l'innovation de demain. Au même moment étaient présentés les rapports des groupes de travail sur la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Ces deux événements ont mis le projecteur sur la situation de la recherche française et le constat est unanime : la France perd du terrain et le niveau de financement de sa recherche est insuffisant. Elle n'investit que 2,2% de son PIB dans la recherche, moins que les Etats-Unis (2,8%) et très loin derrière le Danemark, la Suisse, et l'Allemagne qui dépassent les 3%, quand la Corée du Sud et Israël sont au-delà des 4,5% !

Cette situation alarmante pose la question de l’effort que nous sommes collectivement prêts à faire pour rester une grande nation scientifique et d’innovation. Soutenir la recherche fondamentale est indispensable pour garantir l’indépendance technologique d’un pays sur le long terme. Et ce soutien doit se faire sur la durée, car le temps long de la science n’est pas celui du politique ni celui des attentes du citoyen. La capacité qu’a aujourd’hui l’Europe de lancer des satellites découle des programmes fortement dotés, dont le programme Ariane lancé en 1973 par l’Agence spatiale européenne.

Les défis actuels – résistance aux antibiotiques, ordinateur quantique, énergies propres, réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité etc. – réclament des investissements intellectuels et financiers encore plus conséquents que par le passé. Sur ces thématiques, les géants du web (les fameux Gafam) engagent des sommes comparables voire supérieures à celles des plus grandes nations scientifiques. Le budget de recherche d'Amazon en 2018 était ainsi sept fois supérieur à celui du CNRS. A terme, le risque est que, dans les domaines de la médecine personnalisée et de l'intelligence artificielle, nous dépendions d'intérêts privés dans l'accès aux nouvelles technologies.

Dans un contexte budgétaire contraint, il pourrait être tentant d’orienter les financements vers quelques grands thèmes en relation avec les questions sociétales actuelles, au détriment de tous les autres. Ce serait oublier que, de façon générale, quand on cherche, on ne sait pas ce qu’on va trouver et que la recherche fondamentale et le développement technologique qui s’ensuit procèdent par rupture. Ainsi, l’immunothérapie, qui a changé la donne dans le traitement de certains cancers, résulte de découvertes récentes en immunologie fondamentale. Cette stratégie thérapeutique n’a rien à voir avec la chimiothérapie et la radiothérapie utilisées classiquement.

Deux autres exemples issus de la virologie illustrent la difficulté de prédire les domaines de recherche à prioriser. Dans les années 70, les travaux menés sur les rétrovirus étaient peu soutenus : on doutait qu'ils puissent un jour avoir une application. Ils se sont pourtant révélés décisifs en 1983 pour identifier et caractériser le virus responsable du sida. Cette recherche a aussi fourni des outils importants en biotechnologie, en particulier en thérapie génique. A la fin des années 90, la France arrête la recherche sur les coronavirus, l'étude de cette famille virale étant jugée peu pertinente du point de vue de la santé publique. Cette décision sera déplorée en 2003 lorsque éclatera l'épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) causée par un coronavirus jusque-là inconnu et très proche de celui qui frappe à nouveau la Chine en ce moment.

Le déclin actuel du financement de la recherche française, même s’il commence à se faire sentir dans les laboratoires, n’a pas encore d’effet irréversible ni d’impact sur le quotidien des citoyens. S’il se poursuit, c’est dans une dizaine d’années qu’on comprendra qu’il nous aura définitivement condamnés à l’impuissance face aux défis sociétaux et au statut de nation de seconde zone dans le domaine des technologies de pointe.

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