Des scientifiques parviennent à créer 132 embryons chimères homme-singe

Un groupe de scientifiques espagnols installé en Chine a réussi à créer 132 embryons comportant un mélange de cellules de singe et de cellules humaines dans un laboratoire. Objectif : pouvoir, un jour, produire des organes humains directement dans des élevages d’animaux, afin de pallier la pénurie de dons côté humains.

Des scientifiques parviennent à créer 132 embryons chimères homme-singe
Un macaque au temple de Pura Pulaki (Ile de Bali, Indonésie) © Eric Bajart / Wikimédia (CC)

Souvenez-vous : en mai 2020, des scientifiques américains parvenaient à créer, pour la première fois, des embryons de souris composés jusqu’à 4 % de cellules humaines. Celles-ci s’étaient développées dans des tissus destinés à devenir le foie, le cœur, la moelle osseuse et le sang de la future souris, dont l’embryon avait survécu pendant 17 jours. À l’époque, le groupe de chercheurs affirmait dans la revue Science Advances que cette expérience avait « vocation à être reproduite », notamment pour pallier, à terme, la pénurie de dons d’organes de l’espèce humaine.

10 000 cellules cultivées

Un an plus tard, une expérience similaire vient d’être menée sur un animal encore plus proche génétiquement de l’être humain : le singe. Une étude parue le jeudi 15 avril dans la revue scientifique Cell révèle en effet que l’équipe du scientifique espagnol Juan Carlos Izpisua est parvenue à créer 132 embryons comportant un mélange de cellules de singe et de cellules humaines dans un laboratoire situé en Chine. Cette fois, ce sont trois embryons qui se sont développés pendant 19 jours, avant que les chercheurs ne décident d’arrêter l’expérimentation.

Selon vous, faudrait-il interdire l’ajout de cellules humaines dans un embryon animal ?

Dans le détail, les troupes de Juan Carlos Izpisua ont utilisé les ovules d’une dizaine de femelles de macaque crabier, un singe de la famille des cercopithécidés, que l’on trouve principalement en Asie du Sud-Est. Ces ovules ont été fécondés avec des spermatozoïdes d’individus de la même espèce et, après six jours de culture en laboratoire, ils ont donné lieu à 132 embryons. Le journal espagnol El País, qui avait été le premier à rapporter la première phase de cette expérience lancée en 2019, raconte que «  l’équipe a ensuite ajouté 25 cellules humaines, préalablement reprogrammées avec un cocktail chimique pour pouvoir se convertir en tout type de cellule : peau, muscle etc.  » Dix-neuf jours après la fécondation, les chercheurs ont obtenu 10 000 cellules présentant un pourcentage humain maximal de 7 %.

Une fois n’est pas coutume, les scientifiques ont tenu à répéter que leur objectif était de faire avancer la recherche pour répondre aux pénuries de don d’organes, et non de jouer les apprentis sorciers créateurs d’êtres hybrides « mi-homme mi-singe ». Objectif escompté : faire en sorte qu’un jour, il soit possible de produire des organes humains directement dans des élevages d’animaux, afin de pallier la pénurie côté humains. Pour rappel, 16 000 personnes attendent encore d’être greffées rien qu’en France. À cause de la crise sanitaire, les greffes d’organes ont même chuté de 25 % en 2020. « Tous les ans, des dizaines de milliers de personnes meurent car ils n’ont pas obtenu un organe et sont encore sur la liste d’attente pour une greffe », déplore ainsi Juan Carlos Izpisua.

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Schéma résumant l'expérience de Juan Carlos Izpisua © https://www.cell.com/cell/fulltext/S0092-8674(21)00305-6

Pour parvenir à produire de tels organes directement dans des élevages d’animaux, il faudrait « créer un embryon génétiquement modifié de l’animal hôte » et « réussir à implanter cet embryon chimère dans un utérus de cochon pour qu’il donne naissance à l’animal porteur d’organes humains », résume Le Monde. Or, pour l’heure, « ce scénario relève de la science-fiction », estime le chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) Pierre Savatier, qui a lui aussi mené une expérience ayant récemment abouti à des embryons chimères singe-homme cultivés en laboratoire durant trois jours.

Débat éthique

Par ailleurs, d’un point de vue éthique, ces projets posent évidemment question. Federico De Montalvo, président du comité de bioéthique espagnol, se positionne ainsi contre son collègue dans les colonnes d’El País, déclarant selon une traduction effectuée par Courrier International : « Pourquoi les expérimentations ont-elles été menées en Chine ? Parce qu’ils sont plus avancés scientifiquement dans ce pays ou parce que les règles éthiques y sont moins strictes ? L’objectif actuel mérite d’être applaudi, mais il faudrait se demander si on ne court pas le risque que cette expérimentation soit utilisée par d’autres personnes pour d’autres fins. » 

En France, l’article 17 du nouveau projet de loi sur la bioéthique entend justement encadrer les expériences autour des embryons chimères. Malgré l’opposition du Sénat, il pourrait formellement autoriser l’ajout de cellules humaines dans un embryon ou un organisme vivant animal, tout en interdisant l’inverse (l’injection de cellules animales dans un embryon humain). Le texte devrait revenir en juin à l’Assemblée pour une dernière lecture.

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