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Santé

Les sentiments sont les moteurs biologiques des cultures humaines

Dans son dernier livre, Antonio Damasio réhabilite les sentiments qui sont, selon lui, les moteurs biologiques des cultures humaines.

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Antonio Damasio

Antonio Damasio, auteur de L'ordre étrange des choses.

Elena Sender

Professeur de neurosciences, de neurologie, de psychologie, de philosophie, Antonio Damasio dirige le Brain and Creativity Institute à l'Université de Californie du Sud à Los Angeles. Il publie L'ordre étrange des choses aux éditions Odile Jacob. Il est l'auteur de l'Erreur de Descartes et de Spinoza avait raison qui ont connu d'immenses succès.

Sciences et Avenir : Après votre travail sur les émotions et la conscience, vous proposez de réhabiliter les « affects » ou « sentiments », qui seraient, selon vous le moteur de la culture humaine. Racontez-nous…

Antonio Damasio : Mon idée est que les sentiments, négligés dans l’histoire naturelle des cultures, motivent nos activités et productions culturelles.  Derrière le mot de culture je mets l’ensemble des productions intellectuelles, les arts, la philosophie, la morale et la religion, la justice, la gouvernance, les institutions économiques, la technologie et la science. Très fréquemment les gens disent qu’elles viennent de notre exceptionnel intellect, notre capacité de créativité,  de langage verbal etc… Je suis d’accord mais il faut reconnaître que les sentiments – depuis la douleur et la souffrance jusqu’au bien-être et au plaisir – ont joué un grand rôle dans la grande épopée culturelle humaine.  

Sentiments et émotions sont deux choses différentes pour vous ?

Je distingue en effet les émotions qui sont la collection d’actions qui se produisent de manière automatique et inconsciente dans le cerveau et le corps (viscères, cœur, cerveau…) dans différentes situations de la vie. Et puis il y a les sentiments qui, eux, sont la perception consciente de cette musique intérieure, le portrait de ce qu’il se passe dans le corps.

Citez-nous un exemple de l’utilité des sentiments.

La médecine, par exemple, a vu le jour parce qu’un malade exprimait un sentiment de souffrance. Quelqu’un, en face de lui, a été capable d’un peu de compassion et d’inventer quelque chose pour aider cette personne. La médecine est le fruit de sentiments éprouvés par les premiers praticiens, l’empathie et la compassion. Et cela perdure aujourd’hui.  D’ailleurs, on sait si un traitement a fonctionné lorsque notre sentiment s’améliore, lorsque le mal-être laisse place au bien-être.

Et selon vous les sentiments sont l’expression mentale de notre "homéostasie" ?

Dans le livre, j’explique en effet que le vivant nourrit un désir non réfléchi et involontaire : celui de persister et d’avancer vers l’avenir, contre vents et marées.  L’homéostasie c’est «l’ensemble des processus coordonnés nécessaires à la réalisation de ce désir». Cela renvoie à ce que le philosophe Baruch Spinoza appelait le conatus : « Une inlassable volonté d'autopréservation de chaque être ». L’homéostasie est donc l’impératif puissant, non réfléchi et silencieux, qui assure le conatus, la persistance de la vie. Les sentiments, qui ont toujours une valence, agréable ou désagréable, sont l’expression mentale de notre homéostasie. Ils nous informent de notre état intérieur, ce qui va provoquer une réaction de préservation, qui peut générer des productions culturelles.

Selon votre théorie, les prémisses de ces cultures sont à chercher dans des biologies non humaines, jusqu'aux... bactéries. 

Les bactéries, apparues il y a près de 4 milliards d’années, sont de petites cellules sans noyau, sans système nerveux, sans esprit, les plus nombreuses et les plus variées des entités vivantes terrestres. Elles sont très intelligentes – même si leur intelligence n’est pas guidée par un esprit doué de sentiments, d’intentions et de conscience. Elles peuvent percevoir leurs conditions environnementales et réagir de manière à préserver leur homéostasie. Pour cela, elles sont capables de communiquer (chimiquement) entre elles, font preuve de mémoire et de gouvernance sociale, de stratégies de compétition ou de coopération, de conflits pour défendre leur territoire ou d’éviction des « traitres » qui ressemblent aux nôtres. Est-ce que ces stratégies d'organismes unicellulaires les plus anciens ne préfigurent pas nos stratégies culturelles complexes humaines? Je pense que oui.

Encore un livre qui va faire grincer des dents, non ?  

Ma préoccupation principale dans ce livre c’est de réfléchir au commencement de la culture. C’est un livre que j'aime, même s'il représente un danger pour moi car des spécialistes de la culture vont se dire que je suis trop biologisant et seront irrités que quelqu’un qui n’est pas historien ni sociologue se mêlent de ces choses. Mais mon seul propos est de rechercher les mécanismes de cette grande épopée culturelle humaine et ça me passionne. Ma préoccupation n’est pas de réduire les arts à la biologie mais de replacer l’humain dans une chaîne qui commence avec la vie.

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