Astronomie

On a retrouvé la lumière des premières étoiles

Des astrophysiciens américains ont détecté la trace des premières lumières de l’univers, émises seulement 180 millions d’années après le Big Bang. Leur découverte remet déjà en cause la recherche de la matière noire.
par Camille Gévaudan
publié le 1er mars 2018 à 18h08

Ils ont réalisé un exploit inédit : cinq astrophysiciens américains ont détecté la lumière des toutes premières étoiles de l'univers, émise seulement 180 millions d'années après le Big Bang. Il est impossible de capter directement une lumière si ancienne et si faible avec les télescopes dont on dispose aujourd'hui – d'où la difficulté de l'exercice et le caractère exceptionnel de la découverte publiée ce mercredi dans Nature. Mais ce moment précoce où les premières étoiles se sont allumées a laissé des traces dans l'univers, et ce sont ces indices que Judd Bowman et son équipe de l'université d'Arizona ont cherché dans le ciel.

L’excitation de l’hydrogène

Dans ses premiers instants, l’univers était encore indifférencié et formait un plasma, une sorte de soupe très chaude de particules et d’énergie. Cette soupe s’est rapidement refroidie, et la matière a commencé à s’agréger : les particules élémentaires se sont liées entre elles pour former des protons et des neutrons. Environ 370 000 ans après le Big Bang sont apparus les premiers atomes. Tout d’abord les plus simples, les atomes d’hydrogène  : un proton, un électron, et c’est tout. Puis les nuages d’hydrogène se sont lentement concentrés avec la gravité, jusqu’à ce que les atomes d’hydrogène fusionnent pour créer de l’hélium, en libérant de la chaleur et de la lumière. Ainsi naissent les étoiles…

A voir Il était une fois le Big Bang, avec la physicienne Blandine Pluchet

C'est à ce moment que les premières étoiles ont laissé des traces dans leur environnement. D'après nos connaissances actuelles sur le sujet, on a calculé que la lumière ultraviolette des étoiles a dû frapper l'hydrogène qui emplissait l'espace interstellaire, et le faire sortir de son état de repos pour l'exciter à une longueur d'onde bien précise de 21 centimètres. Cette excitation lui a fait absorber des photons (particules de lumière) du fond diffus cosmologique – le rayonnement qui résonne dans l'univers depuis le Big Bang et que l'on peut toujours «écouter» aujourd'hui avec des radiotélescopes. Théoriquement, il devait donc être possible de retrouver ces photons disparus.

A la recherche d’un trou dans les ondes radio

L’astrophysicien Judd Bowman et son équipe ont écouté le ciel avec un radio-spectromètre de l’observatoire de Murchison, en Australie. Ils ont cherché tout particulièrement à retrouver ces photons mangés par l’hydrogène des premiers temps… et ils ont réussi. Les chercheurs ont noté une «distorsion», une sorte de trou dans le fond diffus cosmologique qui colle avec les prédictions. Bingo !

Le radio-spectromètre de Murchison, en Australie, a permis de repérer une distorsion du fond diffus cosmologique causée par la lumière des toutes premières étoiles. (Photo CSIRO Australia)

La tâche était délicate car «notre propre galaxie et la radio FM diffusée par les humains génèrent des ondes dans la même bande que le signal recherché, explique Nature, donc il a fallu soigneusement identifier et écarter ces puissantes sources pour repérer le signal recherché.» Une fois ces précautions prises, le «trou» dans les radiations était bien visible sur les relevés, approximativement à la fréquence où on l'attendait, et deux fois plus fort que prévu (soit une chute de 0,1% dans l'intensité des ondes). «La surprise était si forte que les chercheurs ont passé deux ans à vérifier qu'elle ne venait pas d'un défaut des instruments d'observation, ou d'un bruit de fond.» Une deuxième antenne a été construite, et les instruments ont travaillé ensemble pour observer différentes zones du ciel. «Après deux ans, on avait fini toutes les vérifications et on ne pouvait trouver aucune autre explication à cette chute d'intensité, raconte Judd Bowman. A ce moment, on a senti l'excitation monter.»

Dater les premières étoiles

Comme l’univers est en expansion et que tous les points qui le composent – la Terre, les étoiles, et toutes les sources d’ondes – s’éloignent les uns des autres à une vitesse connue, il est possible de calculer la déformation subie par le signal des premières étoiles dans le fond diffus cosmologique. Et calculer sa déformation permet de connaître son âge… L’équipe de Bowman estime ainsi que l’allumage des premières étoiles date de 180 millions d’années après le Big Bang.

A la fin de leur vie, ces étoiles ont explosé en générant des rayons X qui ont chauffé le gaz environnant. L’hydrogène a alors subi de nouvelles perturbations, et la trace de la première génération d’étoiles s’est effacée. En observant l’extinction du signal, les chercheurs datent ce moment à 250 millions d’années après le Big Bang.

Le signal des premières étoiles apparaît à 180 millions d’années et disparaît 250 millions d’années après le Big Bang. (Bowman et al, 2018)

Matière noire

Cette découverte est une avancée majeure dans notre compréhension des premiers instants de l'univers, difficiles à étudier, et éveille déjà la curiosité d'autres astrophysiciens. Rennan Barkana, cosmologiste à l'université de Tel-Aviv en Israël, se dit «soufflé» par la force du signal repéré par les chercheurs américains. Il n'y a selon lui qu'une explication probable à une telle intensité  : l'hydrogène était plus froid que prédit par les modèles actuels. Pourquoi  ? Parce qu'il a été rafraîchi par son interaction avec la matière noire.

Barkana a publié ce même mercredi 28 février dans Nature un article s'appuyant sur les travaux de Bowman et al, et creusant les perspectives qu'ils ouvrent dans la quête de la fameuse matière noire. Si on n'a toujours pas réussi à trouver le moindre début de preuve qu'il existe bien des étoiles mortes, des gaz et des trous noirs invisibles à nos télescopes mais qui alourdissent l'univers, formant cette hypothétique «matière noire» que l'on est obligé d'invoquer pour comprendre la masse des galaxies, c'est qu'on a mal estimé sa masse, pense Barkana. «Notre analyse indique que la particule de matière noire ne devrait pas être plus lourde que quelques masses de proton, bien en deçà de la masse prédite communément.» Il faudra peut-être mettre au point de nouveaux types d'expériences pour détecter cette matière noire allégée.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus