Le fondateur et directeur général de Coinbase Brian Armstrong était déjà riche. Grâce à l'introduction au Nasdaq, en mars, de sa plateforme d'achat et de vente de cryptomonnaies, il a été propulsé au cénacle des plus grandes fortunes mondiales, avec un patrimoine estimé à 16 milliards de dollars. Portée par l'envolée du bitcoin, la start-up a pulvérisé des records de valorisation en atteignant 100 milliards.
Cet Américain de 38 ans est un enfant de la Silicon Valley. Né à San José de parents ingénieurs, il pourrait cocher toutes les cases du Californien libertaire et geek. Il est avant tout un homme d'affaires. Dès son plus jeune âge, il montre qu'il a une calculette dans la tête, et la tête sur les épaules. A l'école primaire, il est convoqué dans le bureau du principal. Motif ? Création d'entreprise sauvage de revente de bonbons dans la cour de récré. Au collège, rebelote, il se lance dans le commerce d'ordinateurs d'occasion. Et quand il rejoint la Rice University, au Texas, c'est pour créer universitytutor.com, une plate-forme qui met en relation des tuteurs et des étudiants ou leurs parents. Il en sera le directeur général de 2003 à 2012.
Pendant ce temps, il voyage et passe un an à Buenos Aires. Il y découvre le souvenir traumatisant de l'hyperinflation vécue par la population à la fin des années 1980. Pour gagner sa vie, tout en continuant à gérer universitytutor.com, il travaille pour Airbnb et constate que les transferts d'argent entre les Etats-Unis et l'Amérique latine sont semés d'embûches. « Grosses commissions, délais invraisemblables, opacité, commente-t-il. Quand on envoyait de l'argent en Uruguay, on ne savait pas combien allait vraiment arriver de l'autre côté. »
Monnaie underground
En 2010, Brian Armstrong lit le manifeste de Satoshi Nakamoto - personne ou groupe encore non identifié aujourd'hui - qui décrit le bitcoin comme une nouvelle monnaie underground, qui permet des échanges sans commission ni opacité. Le trentenaire se passionne pour le concept. La complexité des algorithmes ne l'intéresse pas, mais il comprend tout de suite qu'il peut gagner de l'argent en proposant de garder les clés des portefeuilles virtuels et de faciliter les transactions car, à la moindre erreur, l'utilisateur risque de tout perdre.
En 2010, le bitcoin est à 9 dollars. Il en achète pour 1 000 dollars. Le cours s'effondre à 2 dollars. Qu'importe, il garde la foi. Tout en travaillant pour Airbnb, il passe ses nuits à écrire le code de sa future entreprise. Il convainc Fred Ehrsam de quitter Goldman Sachs pour le rejoindre et créer Coinbase. L'investisseur offre la crédibilité nécessaire pour que les banques acceptent de virer de l'argent sur cette curieuse plateforme.
Tempéré par la realpolitik
Brian Armstrong a toujours rêvé d'être un gourou de la tech. Il en porte le plus souvent la tenue : tee-shirt noir, pantalon de même couleur et baskets blanches. Il s'exprime comme un évangéliste, prêche l'avènement d'un nouveau monde libéré du carcan des banques et des monnaies contrôlées par les Etats. Son mantra : un système financier transnational et ouvert qui conduira à l'innovation et à la liberté.
Sa posture d'anarchiste est tempérée par la realpolitik. Il sait faire ami-ami avec les banquiers honnis et joue au ballon avec les émissaires du gouvernement. Il passe au peigne fin les transactions pour repérer le blanchiment, n'hésite pas à dénoncer les comportements suspects et signale les grosses transactions au fisc américain. Son succès tient en une phrase : fonctionner comme une banque en prenant une commission de 2 % sur chaque transaction. Que d'autres pratiquent des tarifs plus bas, ne l'inquiète pas, ils ont l'inconvénient de ne pas être situés sur le sol américain et d'offrir une moins grande sûreté. Résultat, il revendique 43 millions d'utilisateurs et la valeur totale des actifs atteignait 780 milliards de dollars fin 2020.