Gilbert Deray est professeur à la Pitié Salpêtrière (Paris)

Gilbert Deray est professeur à la Pitié Salpêtrière (Paris)

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"Les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme est interdite", explique l'article 39 du code de déontologie des médecins (article R.4127-39 du code de la santé publique).

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La médecine est devenue collective et encadrée pour éviter les dérives de médecins ignorants ou qui se croient au-dessus des lois et des données de la science. Nous avons essayé de faire disparaître pour toujours les charlatans nazis par le code de Nuremberg, la déclaration d'Helsinki et de nombreuses autres règles de déontologie. Mais on ne se débarrasse pas si facilement des charlatans. Le syndrome est toujours le même : Je suis l'élite et donc je sais ce qui est bon pour vous. L'intérêt politique ou financier, industriel ou personnel n'est évidemment jamais très loin de cet hubris mortel.

Malgré des lois très strictes, nous avons connu les dramatiques scandales du Mediator, du Vioxx, de la Ciclosporine pour le VIH, de la Thalidomide, de la Depakine, du Distilbene contre les fausses couches et récemment des opioïdes aux USA. Imaginez ce que serait notre quotidien médical si les médecins pouvaient donner libre cours à leurs idées géniales, à leurs impressions, à leurs certitudes... Un désastre. "C'est l'urgence, je n'ai pas d'autres traitements et de toute façon je n'ai rien à perdre" ont pourtant répété certains lors de cette crise du Covid-19. Les affaires de l'hydroxychloroquine et de l'Ivermectine sont des exemples caricaturaux des dérives de la recherche et de leurs dramatiques conséquences au nom de l'urgence.

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Le charlatan n'a pas de patients, il a des clients

Des travaux médiocres ou frauduleux ont entraîné, sous la pression médiatique et politique, la réalisation de centaines d'études inutiles sur ces médicaments freinant la recherche de traitements efficaces. Autant de retards responsables de pertes de vies. Leur toxicité potentielle a été niée sur des comparaisons grossières. Vous connaissez tous le fameux : "mais l'hydroxychloroquine a déjà été donnée à des milliards de personnes sans problème". Entre une dose nettement plus élevée, une association avec un antibiotique également toxique pour le coeur et la maladie particulière qu'est le Covid, le Pr Ioannidis estime à 100 000 le nombre de morts induits par ce médicament.

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Mais pour moi, l'une des plus graves conséquences de ces fraudes et abus au nom de l'urgence est l'exploitation des déshérités par les charlatans et les puissants. Les ventes de faux médicaments à base de chloroquine et d'ivermectine ont explosé. Le charlatan n'a pas de patients, il a des clients. Des bidonvilles ont été encerclés et fermés pour empêcher leurs habitants de contaminer leurs riches voisins. Pour les "stériliser" de la maladie, ils ont été traités par l'hydroxychloroquine et l'ivermectine. La chaîne d'hôpitaux Prevent Senior est jugée pour crimes contre l'humanité au Brésil pour avoir distribué, sans leur consentement, des kits d'hydroxychloroquine à des personnes âgées. Et enfin, les pays pauvres n'ont pas de vaccins, mais nous leur livrons des tonnes de ces médicaments inefficaces. Le charlatanisme, c'est d'abord l'exploitation du pauvre.

Prendre le temps pour une recherche de qualité

L'urgence en médecine est de comprendre la maladie et de trouver des traitements efficaces. Encore faut-il pour cela prendre le temps nécessaire pour faire de la science et de la recherche de qualité. L'absence de méthodologie conduit toujours à une immense perte de temps et de vies. La découverte de traitements efficaces vient des échecs d'essais thérapeutiques bien conduits.

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Je garde toujours en mémoire certains des arguments des avocats des vingt-trois médecins et scientifiques nazis jugés à Nuremberg en 1946 : "La qualité morale et l'excellente réputation des médecins expérimentateurs allemands, ont été mises en avant afin de faire oublier les actes dont ils se sont rendus coupables", "le caractère désintéressé des chercheurs" ou encore "le souhait d'améliorer le sort de l'humanité". Que d'excellentes motivations, pour des personnes irréprochables, qui ont conduit aux pires atrocités.

Ce procès a permis une véritable prise de conscience des dangers du développement de la recherche médicale et de la nécessité d'un encadrement strict des expérimentations humaines, avec l'élaboration de dix règles qui ont pris par la suite le nom de Code de Nuremberg. Bien sûr, la crise de la Covid-19 et les dérives thérapeutiques concernant entre autres l'hydroxychloroquine et l'Ivermectine ne peuvent être comparées aux horreurs des comportements des médecins nazis. Leur point commun est l'hubris éternel de l'Homme et sa sauvagerie possible s'il n'est pas sous contrôle permanent. Les charlatans sont éternels.

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