AboPremière en SuisseQui s’offrira ces violons d’exception vendus aux enchères?
La faillite de la lutherie Sébastien Lavielle de Lausanne donne lieu à une vente thématique de la maison Arteal, nouvelle venue dans le milieu.
Tout est encore en place au 2e étage du 27, rue de Bourg, à Lausanne. Les établis, les laques, les outils, et plus de deux cents violons, altos et violoncelles, des centaines d’archets aussi, rangés parmi les étuis ou sur les étagères. Encastré dans un mur, le haut coffre-fort qui durant des décennies vit passer les instruments les plus prestigieux confiés aux bons soins de la lutherie Gerber, fondée il y a 87 ans, devenue Mastrangelo, puis Lavielle en 2017, aujourd’hui mise en faillite.
«Dans ce métier, confie Serge Boyer, luthier expert près la Cour d’appel de Paris, il faut être à la fois un excellent artisan et un très bon commerçant, et ce n’est pas donné à tout le monde.»
C’est le fonds de cette enseigne historique qui est mis aux enchères jusqu’à lundi sur la plateforme Drouot.com, pour le compte de la maison Arteal. La suisse compte une centaine de lutheries, mais les maisons historiques ne sont pas légion. «Il y avait autrefois Hug à Zurich, Vidoudez à Genève, Baumgartner à Bâle, et justement Gerber à Lausanne, énumère Serge Boyer. Dans ce métier, la lignée et la transmission sont très importantes, et lorsque l’un disparaît, c’est toujours une perte. Mais en 52 ans de métier, c’est la première fois que je vois une faillite.»
«En 52 ans de métier, c’est la première fois que je vois une faillite.»
Un peu moins de 400 lots en tout, y compris des pièces détachées (têtes de violon, crins, revues spécialisées, etc.), mais surtout des instruments par dizaines, sont mis en vente. Quelques pièces remarquables, comme ce violon du luthier italien Ettore Soffritti (1877-1928), fabriqué à Ferrare (It) en 1921, dont la mise à prix est de 55’000 francs. D’autres violons et violoncelles ont des estimations allant de 4000 à 25’000 francs, mais ce qui constitue aussi l’intérêt de cette vente est la présence de dizaines d’instruments d’étude.
Pour tous les âges
«Avec des prix de départ très attractifs, ces lots sont très intéressants pour des professionnels et des écoles, explique la commissaire-priseuse Capucine Clémendot. Des occasions comme cette vente ne se présentent pas tous les jours.» Il y en a pour toutes les tailles, tous les âges, y compris des violons 1/16e pour les musiciens en herbe dès 3-4 ans. «Nous avons aussi constitué des lots «tout en un», avec violon, archet et étui.»
Il s’agit même d’une première en Suisse. «Il n’y a jamais eu de vente thématique dédiée aux instruments de musique, précise Jean-Baptiste Heinzer, l’un des fondateurs d’Arteal. On trouve parfois certaines pièces de grands maîtres dans des enchères, mais pas d’événement uniquement consacré aux violons.» Il faut savoir que seuls les violons, altos, violoncelles et contrebasses peuvent prendre de la valeur en vieillissant.
Archets et étuis rares
«Les cuivres n’ont qu’une vie, et les pianos, même les plus prestigieux, se dévalorisent», explique Serge Boyer. Les archets peuvent eux aussi atteindre des sommes considérables. «Ils sont aussi l’œuvre de grands maîtres, et certains, notamment de l’école française du XIXe siècle, sont très recherchés.» Tous les archets de cette vente ont été certifiés et estimés par Pierre Guillaume, expert près la Cour de Bruxelles. Figurent aussi au catalogue de nombreux étuis, dont quelques perles rares, un ciselé du nom de Kreutzer ou un de la maison Hill & Sons.
«Notre but est de nous développer en Suisse romande à partir de Lausanne.»
Arteal a déjà organisé trois ventes consacrées au vin, et une aux bijoux. «En ce qui concerne la joaillerie, nous ne sommes bien entendu pas dans la même gamme que Christie’s ou Sotheby’s, souligne Capucine Clémendot. Nos pièces sont nettement plus abordables, et nous avons une belle capacité de rayonnement dans la région.»
Car il y a de la place, complète Jean-Baptiste Heinzer: «Christie’s, Sotheby’s, Philips, Antiquorum, de même que Piguet, Genève Enchères ou Geneva Auctions Art, sont toutes concentrées à Genève, et notre but est de nous développer en Suisse romande à partir de Lausanne.» Arteal prépare du reste une vente de voitures anciennes pour le 2 avril 2022, après celle consacrée aux bijoux pour la Saint-Valentin, ainsi qu’une vente de tableaux en préparation.
Le lieu géographique importe moins depuis que les enchères se sont popularisées sur internet, y compris pour le luxe, y compris pour les instruments de musique. Tarisio, grande maison britannique active dans ce secteur depuis 1999, de même que la française Vichy Enchères réalisent une part croissante de leur chiffre d’affaires en ligne.
«Et la pandémie a donné un formidable essor à cette pratique», observe René Boyer. Chez Arteal, des acheteurs potentiels ont déjà manifesté leur intérêt depuis la France, l’Italie, l’Allemagne et même les États-Unis ou le Japon. «C’est surprenant pour des professionnels comme moi de voir certains acquéreurs payer de très fortes sommes pour des archets ou des violons qu’ils n’ont même pas touchés, mais c’est comme ça…» sourit-il.
Exposition d’une sélection de lots au Lausanne-Palace samedi 27 et dimanche 28 novembre. Vente aux enchères Arteal sur Drouot.com, clôture lundi 29 novembre dès 14 h.
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