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Le télescope spatial James Webb va remonter le temps

Le télescope James Webb, le plus grand observatoire astronomique à être mis en orbite, décollera samedi de Kourou. Un astrophysicien français explique pourquoi il pourrait nous permettre d'assister à la naissance (passée) d'étoiles et de galaxies.

Juliette Demey , Mis à jour le
Dix-huit segments hexagonaux forment le miroir primaire du télescope spatial James Webb, ici lors d’un test en 2016.
Dix-huit segments hexagonaux forment le miroir primaire du télescope spatial James Webb, ici lors d’un test en 2016. © NASA–C. Gunn

Qu'y avait-il aux débuts de l'Univers? Comment les jeunes galaxies ont-elles évolué? A quoi ressemble une étoile qui naît? Pour tenter d'éclairer quelques-uns de ces mystères essentiels, une incroyable machine à remonter le temps s'envolera samedi (le départ a été une nouvelle fois repoussé pour des raisons météo) à bord d'une Ariane 5 depuis Kourou, en Guyane : le télescope spatial James Webb (JWST). Si tout se passe sans encombre, il lui faudra ensuite un mois pour déployer les cinq couches de son pare-soleil et son grand miroir - formé de 18 segments hexagonaux - et rejoindre sa destination finale. Une zone située à 1,5 million de kilomètres de la Terre, dans l'alignement de celle-ci et du Soleil, appelée "point de Lagrange L2". Il sera alors le plus grand observatoire astronomique en orbite.

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Pour l'heure, cet "origami spatial" repose bien replié à l'intérieur de la coiffe de la fusée spécialement aménagée pour l'accueillir. La pression n'est pas mince pour les équipes de cette aventure conjointe des agences spatiales américaines (Nasa), canadienne (ASC) et européenne (ESA) : il a fallu près de trente ans de développement, d'aléas et de contretemps pour parvenir à mener à bien ce projet dont le budget final atteint 10 milliards de dollars (dont 700 millions d'euros pour l'Europe). Chacun retient donc son souffle tout en se préparant à une course de longue haleine : avant la mise en service du télescope, il faudra encore cinq mois de réglages et de vérifications. Et en cas d'échec lors d'une étape, il n'y a pas de plan B.

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Dans l'espace, regarder loin, c'est remonter le temps

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L'attente scientifique est énorme. Le télescope Hubble, qui orbite à 590 kilomètres de la Terre depuis trente et un ans, a déjà permis d'accéder à un pan méconnu de l'Univers. Mais il opère en lumière visible. Le James Webb, lui, promet un bond majeur dans la connaissance. Avec son diamètre de 6,5 mètres (contre 2,4 pour son prédécesseur), il captera plus de lumière et observera l'infrarouge avec une sensibilité sans précédent. "Plus un objet est lointain, plus la lumière que l'on reçoit est faible. Et avec l'expansion de l'Univers, la lumière émise en visible, au bout de toutes ces années, nous arrive en infrarouge", décrypte Pierre-Olivier Lagage, astrophysicien au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) qui travaille depuis plus de vingt ans sur le projet du JWST. Pour traquer et disséquer l'infrarouge proche et moyen, le télescope embarque quatre instruments de pointe : NIRSpec, un spectrographe capable d'observer le spectre de 200 objets simultanément ; NIRISS, un spectrographe et imageur étudiant la température, la masse et la composition chimique des objets ; NIRCam, un dispositif d'imagerie infrarouge ; MIRI, une caméra alliée à un spectromètre pour observer les objets froids et lointains.

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Une nouvelle fenêtre sur l'univers

"Avec sa définition 100 fois supérieure à celle de Hubble, le James Webb va ouvrir une nouvelle fenêtre sur l'Univers, voir ce que l'humanité n'a jamais vu, résume Catarina Alves de Oliveira, responsable opérations scientifiques James Webb à l'Agence spatiale européenne. Dans l'espace, regarder loin, c'est remonter le temps." Jusqu'où? L'ambition est de rembobiner le film pour se projeter quelques centaines de millions d'années après le Big Bang, il y a 13,4 milliards d'années. "On pourra observer les premières lueurs de l'Univers, à la sortie de l'âge sombre, commente Pierre-Olivier Lagage. C'est là que ce sont formées les premières galaxies et étoiles." Voir et étudier ces galaxies jeunes, c'est d'abord observer des terrains complètement vierges. Quelle taille avaient-elles? Pourquoi n'observe-t-on plus que deux types de galaxies, les elliptiques et les spirales, alors qu'elles étaient bien plus diverses à l'origine? Le "Webb" pourrait répondre à ces questions. Et, au passage, permettre de confirmer le modèle global de structuration de l'Univers. Ce n'est pas rien!

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Au début des années 1990, quand le projet a été initié, on ne savait même pas s'il y en avait hors du système solaire!

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Grâce à sa vision infrarouge et à sa résolution, le télescope sera aussi capable de pénétrer à travers les nuages de gaz et de poussières afin d'assister à la naissance des étoiles dans notre galaxie. Il détectera des objets à des températures plus basses que dans le champ visible, en particulier les exoplanètes. "Au début des années 1990, quand le projet a été initié, on ne savait même pas s'il y en avait hors du système solaire! Il a fallu attendre l'an 2000 pour que l'existence d'exoplanètes soit indéniable ; on en a désormais détecté près de 5.000", raconte Pierre-Olivier Lagage. Avec ce télescope s'ouvre selon lui "un deuxième chapitre". Comme le résume Catarina Alves de Oliveira, on va passer "de la chasse aux exoplanètes à l'étude de leur composition et de leur atmosphère".

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En regardant ces cousines, les scientifiques espèrent comprendre comment une planète devient habitable ou non, et acquérir une nouvelle vision de notre système solaire. Le Graal serait bien sûr de trouver des "biosignatures" dans leur atmosphère, des molécules compatibles avec l'apparition de la vie : eau, oxygène, méthane, ammoniac…

Un temps d'utilisation compté

Si chacun espère que le James Webb suivra l'exemple de longévité de Hubble et fonctionnera pendant au moins dix ans, sur le papier, sa durée de vie "nominale" est de cinq ans. Le temps d'observation est donc compté, et avec lui la compétition féroce entre les centaines de laboratoires pour dégotter des créneaux. L'Europe bénéficie d'un minimum de 15% du temps d'utilisation du télescope, grâce à sa participation. Les équipes qui ont développé les instruments disposent d'heures d'observation sécurisées et, dans ce cadre, Pierre-Olivier Lagage, qui a contribué à celui de MIRI, coordonne un programme de cent dix heures d'observations d'exoplanètes avec cet instrument. Sa "préférée", c'est l'exoplanète b du système Trappist-1, à 40 années-lumière de la Terre, auquel il va consacrer vingt-cinq heures. Soit sept planètes rocheuses dont certaines ont des caractéristiques proches de la nôtre, tournant autour d'une étoile plus froide que notre Soleil.

Depuis des années, l'équipe de l'astrophysicien simule la détection de ce signal très faible qu'il faudra capter au moment où la planète passera derrière son étoile. Parmi les autres cibles qui seront observées avec MIRI figure une exoplanète rocheuse très chaude baptisée K2-141 b, une image de ce qu'a pu être la Terre primitive, ou encore LHS-3844 b, supposée être dénuée d'atmosphère. " J'espère qu'il y aura des surprises, confie Pierre-Olivier Lagage. Quand on fait un tel bond en avant en 'Terra Incognita', c'est probable."

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