L'IA, nouvel outil de précision des médecins
Très connus pour leur utilisation dans le monde numérique, les algorithmes et l'intelligence artificielle sont aussi devenus incontournables dans le domaine de la santé. Notre enquête.
Elle n’aura jamais l’instinct d’un médecin généraliste qui sait voir quand quelque chose cloche chez un patient qu’il connaît bien, ni l’empathie d’un spécialiste qui pose une main réconfortante sur l’épaule d’un malade. Certes. Mais l’intelligence artificielle (IA) est toutefois devenue un outil précieux pour faire avancer la médecine. Capable d’observer un nombre massif d’informations, de les croiser, de les recouper, le tout en un temps record, l’IA s’avère désormais incontournable dans un bon nombre de spécialités. Et ce, tant pour prédire une maladie ou prévoir son évolution que pour recommander un traitement personnalisé.
C’est le cas pour la maladie de Parkinson. Quand les médecins posent ce diagnostic, difficile pour un patient de savoir combien de temps il pourra conserver son autonomie. Cette maladie dégénérative, qui touche environ 100 000 personnes en France, se caractérise par la destruction progressive des neurones et varie selon chaque sujet.
Pour essayer de mieux définir comment les symptômes apparaissent, l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) s’est associé à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria). "Nous croisons des données de natures différentes, comme
de l’imagerie médicale et des comptes rendus de médecine, qui correspondent à des moments précis de la maladie. Et nous essayons de faire le lien entre ces différents stades. Les algorithmes que nous avons mis au point permettent de recoller les morceaux et d’avoir un aperçu complet du développement des symptômes ", explique Stanley Durrleman, chercheur à l’Inria et coordinateur du centre de neuro-informatique de l’ICM.
Therapixel, qui interprète les mammographies grâce à ses réseaux de neurones, est capable d’identifier des masses suspectes, représentées ici en rouge (à gauche) et en bleu (à droite).
Prévoir, prédire, prévenir…
Véritable carburant des algorithmes, les données de santé sont essentielles pour innover et mieux comprendre le développement de certaines maladies. En les passant au peigne fin, l’IA est déjà capable de diagnostiquer des maladies et d’établir quel traitement serait le plus adapté à un patient, comme dans le cas du cancer.
Dans les locaux de l’hôpital Cochin, à Paris, la start-up Therapixel s’est donnée pour mission de reconnaître le cancer du sein sur une imagerie médicale. Ici, pas de blouses blanches ni de stéthoscopes, mais des ordinateurs aux capacités très puissantes, sur lesquels l’équipe a longuement entraîné un algorithme spécialisé. "Nous lui montrons une grande quantité d’images en lui indiquant les anomalies. Au fur et à mesure, il a appris à les repérer seul ", explique Olivier Clatz, le président et cofondateur de Therapixel. Grâce à l’IA, le diagnostic devient plus rapide, mais aussi plus fiable. Le nombre de "faux positifs "– des suspicions de cancer qui se révèlent fausses – passe de 25 % à 4 % selon Olivier Clatz. Un long chemin parcouru depuis 2012, quand Google mettait au point un premier logiciel capable de reconnaître un chat sur une image. Cette fois, le logiciel est capable de reconnaître une cellule malade.
D’autres paramètres peuvent servir à traquer les anomalies du corps humain. Pour cela, il faut mettre de côté la classification des cancers par organe – poumons, cerveau, sein… – pour se concentrer sur les informations contenues dans nos gènes. En Suisse, chez Sophia Genetics, les chercheurs s’appuient sur le génome des patients, en analysant leur ADN. "Notre logiciel permet de transformer l’ADN d’un patient en un fichier numérique informatique. Cela correspond à 3 milliards de lettres. Peu importe la forme aléatoire que prennent les combinaisons, la plate-forme Sophia DDM sait trouver les altérations génomiques ", explique Tarik Dlala, le porte-parole de Sophia Genetics. Le logiciel est déjà utilisé dans plus de 400 hôpitaux. Grâce à leur séquenceur d’ADN, les hôpitaux envoient un simple fichier. Ils reçoivent les résultats deux heures après. "Quand un variant est identifié, il est partagé à travers toute la communauté. Nous voulons créer une intelligence collective pour accélérer la médecine personnalisée. "L’IA permet d’administrer une thérapie ciblée au patient, un médicament qui vise un gène ou une protéine pour détruire la tumeur, plutôt qu’une chimiothérapie classique, par exemple.
… et bientôt guérir ?
Ce genre de tests permet de gagner du temps et donc de l’espérance de vie. En témoigne l’étude Impact (Initiative for molecular profiling and advanced cancer therapy) présentée lors du congrès de l’American society of clinical oncology, en juin dernier, à Chicago. "Avec des tests génétiques plus poussés, nous pouvons aider encore plus de patients en traitant leur cancer grâce à leurs caractéristiques génétiques plutôt que seulement selon l’emplacement de la tumeur ", affirme Catherine Diefenbach, hématologue et enseignante à l’école de médecine de l’université de New York. Avec une thérapie ciblée, 15 % de patients ont survécu plus de trois ans, contre seulement 7 % sans. Sans IA, impossible d’accéder à ces traitements, qui vont s’améliorer d’années en années. Reste à savoir quand les algorithmes prendront officiellement leur place en consultation dans les hôpitaux français.
- 2012 Une IA de Google sait repérer un chat sur une image
- 2016 La France crée le Système national des données de santé (SNDS)
- 2018 Aux États-Unis, la FDA approuve une IA pour dépister une maladie oculaire
(Sources : Google, FDA, ministère de la Santé et des Solidarités)
La première IA autorisée aux États-Unis
La Food and drug administration (FDA), l’autorité qui régule le marché du médicament aux États-Unis, a donné son feu vert pour mettre sur le marché l’IDx-DR, un dispositif médical qui utilise une intelligence artificielle. Grâce à une photo, un algorithme permet de dépister la rétinopathie diabétique, une complication du diabète qui entraîne une déficience visuelle. Principal avantage du dispositif, il peut être utilisé par des professionnels de santé qui ne sont pas spécialisés en ophtalmologie, comme des médecins généralistes et des infirmières. Il suffit de télécharger les photos des rétines des patients afin que le logiciel les analyse. Si le diagnostic est établi, le patient est invité à prendre rendez-vous chez un spécialiste. Seules restrictions : les patients déjà traités au laser, atteints de dégénérescence oculaire et les femmes enceintes. Un gain de temps considérable pour les médecins et les patients, quand on sait que la rétinopathie diabétique touche 50 % des patients atteints de diabète de type 2. Les vaisseaux sanguins de la rétine sont abîmés par un taux élevé de glycémie, provoquant la perte de vue. C’est même la première cause de cécité avant 65 ans en France, selon les chiffres de la Fédération française de diabète. À l’avenir, la FDA devrait valider d’autres outils utilisant l’IA. Elle assure qu’elle "continuera à faciliter la disponibilité de dispositifs de santé numériques sûrs et efficaces qui pourraient améliorer l’accès des patients aux soins de santé nécessaires ".
"Pas de système pérenne de suivi de nos besoins de santé"
Quelle valeur ont les données de santé aujourd’hui ?
Aujourd’hui, les données de santé n’ont pas de valeur dans leur quantité, mais par leur capacité à être utilisées. Demain, des algorithmes vont nous aider à diagnostiquer des maladies et à choisir des traitements. L’intelligence artificielle, c’est la suite logique de la digitalisation de la santé. Elle va améliorer l’efficacité des soins pour un coût moindre.
En France, de multiples bases de données existent. Comment les exploiter au mieux ?
Cela fait cinquante ans que l’on parle d’IA, mais rares sont aujourd’hui les personnes qualifiées pour comprendre tous les tenants et les aboutissants de son application. Il nous manque les fondations de base, en témoignent les nombreux logiciels d’un hôpital qui ne sont pas compatibles entre eux. Même dans le Plan santé 2022 du gouvernement, on trouve à peine quelques phrases dédiées au numérique.
Lancé en 2004, relancé en 2016, testé en 2017, le dossier médical partage a été lancé officiellement le 6 novembre 2018. Une bonne idée selon vous ?
Lorsqu’il a été testé en 2007, seuls 14 % des DMP contenaient des documents de coordination médicale, malgré de nombreuses années de promotion intensive. Essayer de le remettre au goût du jour me semble être une preuve d’impuissance de nos gouvernements sur les sujets numériques. Pour l’instant, la France ne dispose pas d’un système pérenne de suivi de nos besoins de santé.
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