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Cerveau et psy

On en sait plus sur comment fonctionne l'hypnose... Et donc notre conscience

Sous hypnose, notre cerveau bloque activement les circuits neuronaux nécessaires à la réalisation de la suggestion hypnotique. Un mécanisme intimement lié à la façon dont la conscience naît de notre cerveau.

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On en sait plus sur comment fonctionne l'hypnose... Et donc notre conscience

Les mécanismes de la suggestion hypnotique éclairent ceux de la conscience

JESPER KLAUSEN / SCIENCE PHOTO L / JKU / Science Photo Library via AFP

Sous hypnose, une zone bien particulière du cerveau semble bloquer le processus de prise de conscience de certaines informations, de façon à respecter la suggestion hypnotique. Chez une femme hypnotisée pour être temporairement sourde, les stimuli auditifs étaient perçus mais bloqués avant d’atteindre sa conscience, rapportent des chercheurs français dirigés par le Pr Lionel Naccache dans la revue Frontiers in Neuroscience. L’hypnose pourrait bien être l’outil idéal pour explorer notre conscience et ainsi mieux comprendre comment notre cerveau peut auto-limiter ses capacités, parfois jusqu’au trouble neurologique. 

Bip bip bip bip bip”, tinte le moniteur à l’oreille de la jeune femme allongée, les yeux fermés. Hautement sensible à la suggestion hypnotique, elle a accepté de se prêter à une expérience très sérieuse. Guidée par son médecin hypnothérapeute et co-auteur de ces nouveaux travaux, Jean-Marc Benhaiem, elle perd peu à peu son sens de l’audition. A chaque salve de “bip”, elle fait un geste pour indiquer qu’elle entend ou n’entend plus. A la fin, le seul son à pénétrer sa conscience est la voix du thérapeute. L’expérience dure moins d’une demi-journée, mais permet aux chercheurs d’enregistrer l’activité cérébrale de la jeune femme alors que les sons lui parviennent, avant puis pendant hypnose. “Je pense que les états modifiés de conscience, comme les rêves lucides ou l’hypnose, peuvent nous permettre de mieux comprendre les mécanismes de notre conscience”, explique Esteban Munoz Musat, premier auteur de ces travaux. 

La conscience, c’est quoi ? 

Si la question de la définition de la conscience est loin de faire l’objet d’une réponse claire de la part de la communauté scientifique, deux théories principales s’affrontent. La première est celle du “Neuronal Global  Workspace”, ou théorie de l’espace de travail neuronal global. D’après cette théorie, “la conscience serait un processus tardif, qui viendrait 300 à 400 millisecondes après la perception inconsciente du stimulus”, explique Esteban Munoz Musat. A ce moment, l’information (ici un son), initialement traitée de manière inconsciente par un réseau neuronal local (ici le cortex auditif), est diffusée de manière globale au cerveau, grâce aux cortex préfrontal et pariétal. Cette diffusion globale de l’information permet son traitement par d’autres circuits cérébraux spécialisés (celui de la mémoire, par exemple), aboutissant à l’impression subjective d’avoir "conscience" de l’information. “C’est zéro ou un, un passage d’une information inconsciente vers une information que l’on peut consciemment rapporter”, précise le chercheur.

La seconde théorie, celle de l’information intégrée, repose sur une position philosophique très différente. Elle suppose que tout système capable d’intégrer de l’information possède par définition une conscience, et que plus le système est complexe, plus la conscience est importante. “D’après cette théorie, même une simple diode possède une forme de conscience”, illustre Esteban Munoz Musat.  

Lorsque le cerveau inhibe la conscience 

Partisans de la théorie de l’espace de travail neuronal global, les scientifiques font deux hypothèses quant à leur patiente en état d’hypnose. “Premièrement, on devrait observer la disparition de l’onde cérébrale P300”, énumère Esteban Munoz Musat. La P300 est cette onde cérébrale qui caractérise la prise de conscience d’un stimulus, c’est-à-dire le moment où il est diffusé plus largement au cerveau par l’intermédiaire du cortex préfrontal. Sous hypnose, le stimulus auditif n’atteint pas la conscience, puisque le sujet dit ne rien entendre. Les chercheurs expliquent cette interruption par une seconde hypothèse : c'est le cerveau lui-même qui bloquerait le signal. “Nous avons supposé que la perception inconsciente se faisait toujours, mais qu’une autre partie du cortex préfrontal allait activement inhiber l’entrée de l’information auditive dans le processus conscient”, détaille Esteban Munoz Musat. Et c’est ce qu’il s’est passé. 

Lorsque l’hypnothérapeute lève enfin la suggestion hypnotique sur sa patiente, celle-ci retrouve aussitôt une audition normale. “Elle nous a confirmé qu'en état d'hypnose avancé, elle n’entendait effectivement plus, ce qui coïncidait avec l’absence d’onde P300 observée à l’électroencéphalogramme”, raconte Esteban Munoz. La première hypothèse est donc vérifiée, la P300 est bien corrélée au passage vers la conscience. Deuxième victoire : au moment où la P300 devait arriver, les chercheurs observent une activité brève du cortex cingulaire antérieur (sous partie du cortex préfrontal). “L’hypnose engendre un mécanisme actif, une sorte de filtre ou de contre-ordre qui dit que l’information est bloquée et ne va pas plus loin dans le cerveau”, interprète le chercheur. Si ces résultats devront être répliqués pour être confirmés, ils ouvrent déjà la voie à des applications thérapeutiques. 

S’inspirer de l’hypnose pour soigner des troubles neurologiques 

Les troubles neurologiques fonctionnels sont des symptômes neurologiques sans lésion organique associée, que ce soit au niveau de la moelle épinière ou du cerveau. Etiquetés comme d’origine psychologique, certains peuvent être débloqués par l’hypnose. “Lorsque le trouble concerne la paralysie motrice, l'hypnose permet à beaucoup de patients de bouger à nouveau. Et une fois sortis de la suggestion hypnotique, certains conservent définitivement leur mobilité”, expose Esteban Munoz Musat. “Certains auteurs font le lien entre ces mécanismes, disant que dans ces troubles le sujet s’auto-impose un blocage avec un mécanisme proche de celui de la suggestion hypnotique”.

Comprendre les mécanismes de l'hypnose, ce n’est donc pas seulement explorer la conscience, mais aussi comprendre comment mieux soigner ces patients. Connaître quelle partie du cerveau est responsable de l’inhibition de la prise de conscience d’une information pourrait permettre de les traiter. “Nos résultats montrent le rôle inhibiteur du cortex cingulaire antérieur. Nous pensons que dans ces troubles neuro-fonctionnels, ce blocage actif passerait par les mêmes structures. Cela ouvre la voie à un traitement optimisé de ces troubles par stimulation spécifique de cette zone cérébrale”, conclut le chercheur. 

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