Genre et sexe en santé : former les soignants et informer le grand public

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Par Patricia Guipponi

Temps de lecture estimé 6 minute(s)

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L'importance du sexe et du genre en santé © Getty Images

Maladies minimisées, diagnostics tardifs, traitements différenciés… ignorer l’influence du sexe et du genre en santé entraîne des situations complexes. C’est ce qu’explique Muriel Salle, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université Claude Bernard Lyon I.

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Muriel Salle, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université Claude Bernard Lyon I

Dans un rapport d’analyse prospective, publié début janvier 2021, la Haute autorité de santé (HAS) s’est penchée sur la problématique du sexe et du genre en santé. Ignorer ces deux concepts peut être source d’iniquité dans la prise en charge des patients.

Afin d’améliorer le soin et la prévention, la HAS a élaboré dix propositions qui vont de l’intégration du sexe et du genre dans la conception des politiques publiques à la participation des patients concernés.

Muriel Salle, spécialiste en histoire de la médecine, pointe l’importance de former en continu les soignants à la question du genre et du sexe en santé, tout en sensibilisant le grand public sur le sujet.

« Les notions de sexe et de genre confondues à tort »

Qu’est-ce qui différencie le sexe du genre ?

Muriel Salle : En biologie, le sexe est à la fois organique (la prostate chez l’homme, les ovaires chez la femme…), cellulaire et hormonal. C’est aussi un élément chromosomique. Il différencie les femmes et les hommes à des fins de reproduction. Alors que le genre se définit à un niveau culturel et social. Contrairement au sexe, il est susceptible de varier dans le temps et dans l’espace.

Quand on parle de sexe, on est dans les notions de mâle et de femelle. Et de masculin et de féminin lorsqu’il s’agit de genre. Dans un système binaire caractérisé, le genre distribue des places, des rôles bien définis aux hommes et aux femmes avec souvent une survalorisation des premiers.

On a tendance à utiliser le terme de sexe à la place de genre, et inversement. On fait des raccourcis en les superposant. La femelle est associée à des comportements féminins. Pareil pour le mâle à qui l’on n’attribue que des comportements masculins.

C’est une erreur majeure car il peut exister des discordances entre les deux, entre ce que l’on est sur le plan biologique et ce que l’on incarne dans sa vie socioculturelle. On peut être une femme et vivre sa féminité loin des caractéristiques qui s’y rapportent habituellement. Comme il y a mille façons d’être un homme. La santé et la médecine ignorent largement toutes ces subtilités.

« En santé, nombre de problématiques féminines sont ignorées »

Comment explique-t-on cette ignorance ?

M.S. : En médecine, le modèle pour penser le corps humain est largement masculin. C’est ce que l’on appelle de l’androcentrisme. L’homme est la mesure du monde en dehors des moments où l’on aborde les questions de gynécologie !

L’histoire de la construction des savoirs dans les sciences, dont fait partie la médecine, exclut les femmes. C’est le domaine des hommes. En France, il faut attendre la fin du XIXe siècle pour qu’une femme ait le droit de s’inscrire en faculté de médecine. C’est désormais normal et admis depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Comme seuls les hommes produisent des savoirs, les questions qu’ils se sont posées sont celles qui les intéressent en tant qu’homme. De ce fait, un certain nombre de problématiques féminines sont ignorées. La médecine est devenue sexiste. Mais ce n’est pas une entreprise de dévalorisation préméditée. Ce n’est qu’une conséquence.

A trop sexuer certaines pathologies, on minimise les symptômes

Dans quels cas de figure la femme est-elle lésée en santé ?

M.S. : On peut l’illustrer avec nombre d’exemples. On expose très rarement aux étudiants en médecine que les maladies cardiovasculaires se manifestent par des symptômes qui peuvent être différents chez l’homme et chez la femme. Ceux qui concernent la femme, appelés atypiques, touchent la moitié de la population féminine, donc la moitié de la moitié de l’humanité. Ça fait tout de même beaucoup pour rester exceptionnel.

Si l’on regarde les choses du point de vue du sexe, donc de la biologie, les femmes sont relativement épargnées face aux accidents cardiaques pour des raisons hormonales entre autres. Les œstrogènes jouent un rôle cardioprotecteur. Or, les évolutions du genre font qu’aujourd’hui les facteurs de risques de maladies cardiovasculaires ont augmenté chez les femmes avec la consommation importante de tabac et la forte exposition au stress.

Existe-t-il des exemples où, a contrario, les hommes sont déconsidérés ?

M.S. : L’exemple canonique est celui de la dépression. Les taux de suicides sont plus importants chez les hommes que chez les femmes. L’une des raisons est que les souffrances psychiques sont moins prises en charge chez les hommes. Les symptômes dépressifs des hommes ne sont pas les mêmes que ceux des femmes. Par exemple, ils n’auront pas des troubles de l’humeur, de crises de larmes mais plutôt des accès de violence. Alors, on peine à repérer les signes de cette dépression.

« Communiquer sur les subtilités du sexe et du genre »

Que faut-il pour que cela change ?

M.S. : L’évolution de la société, l’explosion de la binarité des sexes devraient amener à reconsidérer les notions de sexe et de genre en santé. Aujourd’hui, pour exercer la médecine de manière efficace, il faut être dans une perspective biomédicale certes mais aussi biopsychosociale. Il faut davantage accompagner les médecins sur ce chemin. On se retrouve souvent avec des soignants en situation de grande ignorance face à des patients atypiques en termes de normes de sexe ou de genre.

En France, à ma connaissance, ces questions sont trop peu ou pas du tout enseignées. Les formations universitaires et continues devraient s’engager dans cette sensibilisation. Notre pays a du retard comparé aux États-Unis, au Canada, à l’Allemagne ou encore à la Suède. Notre système d’enseignement reste organisé en silos, formaté. On fait soit des sciences humaines soit des sciences exactes. Il faut aussi communiquer auprès du grand public sur les subtilités du sexe et du genre et sur leur impact sanitaire.

« La recherche s’est construite sur des standards masculins »

Qu’en est-il de la recherche face au sexe et au genre ?

M.S. : Pendant longtemps, les recherches en biomédecine ont été mises en œuvre sur des corps masculins pour des raisons de stéréotypes. On s’imagine que la physiologie masculine est moins complexe car elle est moins perturbée par des variations hormonales cycliques. La recherche s’est construite sur des modèles et des standards masculins. Elle est pratiquée sur des cellules mâles, des animaux mâles et sur des sujets humains de sexe masculin.

Cela a évolué sous la pression d’obligations légales notamment. Les femmes ont été incluses aux protocoles de recherches. Or, il faut encore améliorer les pratiques car souvent on commence par étudier le mâle et après on se dit : « Tiens, qu’en est-il chez la femme ? ».

*Muriel Salle a publié « Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? », livre co-écrit avec Catherine Vidal aux éditions Belin/Collection d’Egale à égal. Et préfacé l’ouvrage de la médecin urgentiste américaine Alyson McGregor, « Le sexe de la santé », qui paraît fin octobre 2021 aux éditions Eres.

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