« Tu te fais ton film ! » De cette expression populaire le neurologue Lionel Naccache fait la matière de son livre Le Cinéma intérieur. Projection privée au cœur de la conscience. Car notre cerveau, nous explique-t-il, est un studio de cinéma où se fabriquent les films que nous produisons à partir de ce que nous voyons mais aussi de ce que nous imaginons.
S’appuyant sur un riche corpus composé tant des connaissances les plus récentes en neurosciences que des résultats d’expériences en psychologie, parfois réalisées au siècle dernier et revisitées, l’auteur s’applique à démonter les mécanismes concourant à la production de ces illusions. « Nous ne cessons d’interpréter les choses que nous percevons, de leur assigner des identités (un visage, un nombre, un mot…), des significations, et la première couche de cette production de sens opère à notre insu et en amont de notre prise de conscience », pose-t-il.
Trucages et illusion
Pour amener cette thématique sur le terrain de la raison, Lionel Naccache adopte un parti pris pédagogique. Il s’attache d’abord à révéler les trucages par lesquels notre cerveau modifie la perception de la réalité observée par l’œil, incluant la colorisation, la stabilisation des saccades de l’œil, le montage et la production du mouvement, à une fréquence de 13 images par seconde. Ces trucages se produisent à notre insu et nous vivons avec l’illusion de complétude, nous explique l’auteur. Nous croyons avoir retenu chaque détail d’une scène alors que, preuves scientifiques à l’appui, nous en retenons une image falsifiée, où seuls persistent les détails que nous avons sélectionnés. Et pour complexifier le tout, ces images s’intriquent avec celles produites par l’imagination, le rêve, les hallucinations et la mémoire, passées au filtre de notre inconscient. Bref, nous nous faisons des films, à l’origine du sens que nous attribuons au monde. Nos consciences sont donc hantées de croyances.
Si l’approche scientifique révèle sous un jour inédit cette propriété de l’esprit humain, la dernière partie du livre qui lui est consacrée aurait mérité une discussion sur l’apport des sciences humaines à la compréhension de notre tendance naturelle à accorder de l’importance à nos fictions subjectives, au détriment de celles d’autrui.
Mais le livre s’affirme aussi comme un vibrant plaidoyer pour une prise de conscience de l’effet de ces fictions. « Nos rapports conscients sont de fascinants objets mentaux. Ne pas les prendre en compte reviendrait à ne pas s’intéresser à l’étoffe de la conscience. Comprendre comment quelqu’un peut se rapporter tel ou tel contenu [interpréter ce qu’il vit] à un instant donné est une question scientifique fondamentale », souligne Lionel Naccache. « Cette coexistence de nos cinémas intérieurs respectifs est également une voie de tolérance : prendre conscience de la manière dont nous nous percevons et nous percevons le monde conduit plus facilement à comprendre que les autres le perçoivent autrement », conclut-il.
Il vous reste 4.58% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.