Lionel Naccache : « La propriété essentielle de la conscience, c’est de produire du sens »


De passage à Lyon pour une conférence, Lionel Naccache, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris et chercheur en neurosciences cognitives à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), nous parle de son sujet préféré : la conscience.

Mardi 14 novembre, amphi 5 du site Laennec de l’université Lyon 1. Les étudiants du master de neurosciences fondamentales et cliniques de Lyon tapent frénétiquement sur le clavier de leur ordinateur pour suivre le débit de paroles ultrarapide de Lionel Naccache. Le célèbre neurologue a été invité par son collègue lyonnais Yves Rossetti (CRNL, équipe Impact) à donner un cours sur les pathologies de la conscience visuelle. Adepte de la maïeutique, Lionel Naccache invite les étudiants à reparcourir avec lui le cheminement intellectuel qui a permis, à partir de cas pathologiques, de mieux comprendre comment se formait la conscience visuelle. Nous lui donnons rendez-vous en début d’après-midi à la cafétéria pour une brève interview.

Être conscient, c’est toujours être conscient de quelque chose

Comment définir de façon simple quelque chose d’aussi insaisissable et multiforme que la conscience ? Lionel Naccache renvoie pour cela à la notion de « rapportabilité », néologisme issu de l’anglais : la conscience est la capacité d’un sujet à se rapporter une représentation ou un état mental. Par exemple, quand je dis : « Je vois votre visage. » C’est cette dimension subjective qui l’intéresse depuis toujours et qui oriente ses recherches.

Si cette définition fait largement consensus, certains chercheurs défendent pourtant l’idée qu’on puisse être conscient de plus de choses que celles que nous sommes capables de nous rapporter. Lionel Naccache les renvoie à la phénoménologie, branche de la philosophie qui, avec Brentano, Husserl ou Merleau-Ponty, considère qu’on ne peut pas dissocier la conscience de son contenu. Etre conscient, c’est toujours être conscient de quelque chose.

A partir de là, explique Lionel Naccache, on peut se poser deux grandes questions. Quelles sont les bases cérébrales de l’état de conscience ? Que se passe-t-il, du point de vue psychologique et cérébral, lorsque nous prenons conscience de quelque chose ? Ce questionnement l’a conduit à caractériser, en utilisant l’électroencéphalographie, l’activité cérébrale de sujets se trouvant dans différents états de conscience : éveil, sommeil profond, sous anesthésie générale, dans le coma, en état végétatif… A chacun de ces états correspond ainsi une « signature cérébrale » précise.

Ces avancées permettent notamment aujourd’hui de mieux évaluer les états de conscience de sujets qui ne peuvent pas ou plus communiquer et de leur « rouvrir les portes de la subjectivité ».  

Collisions sémantiques et autres accidents de signalisation

Le Chant du signe, aventures et mésaventures de nos interprétations quotidiennes, Lionel Naccache, Odile Jacob.Dans son dernier ouvrage, Le chant du signe, Lionel Naccache poursuit son exploration de la pensée subjective. Il s’intéresse cette fois aux signes symboliques qui nous entourent : panneaux de signalisation, pictogrammes, logos, émoticônes… Ou plutôt à l’interprétation que nous en faisons. Ces signes, rappelle-t-il, sont conçus pour susciter en nous, en une fraction de seconde, une interprétation univoque de leur signification. Et c’est ce qui arrive presque toujours : nous savons tous que nous devons nous arrêter au feu rouge. Pourtant, il arrive que notre système d’interprétation, influencé par notre subjectivité, propose un autre sens que celui qui était attendu. C’est ce que Lionel Naccache appelle un « accident de signalisation », ou, pour reprendre une image de la physique des particules, une « collision sémantique extraordinaire ». Il raconte ainsi comment, alors qu’il était interne, il a cru durant quelques instants qu’un malade s’intéressait comme lui aux maladies à prions (Creutzfeld-Jakob) après avoir vu sur sa table de chevet un CD où figurait le mot « prions », avant de réaliser qu’il s’agissait de chants religieux… Ces expériences cocasses que nous avons tous faites nous révèlent « la manière dont notre esprit/cerveau fonctionne, perçoit, interprète, comprend et, finalement, fait sens du monde qui l’entoure ». Elles montrent aussi que, face à la tyrannie sémantique des signes, nous restons interprète du monde que nous percevons.

Le Chant du signe, aventures et mésaventures de nos interprétations quotidiennes, Lionel Naccache, Odile Jacob.


Parlez-vous cerveau ?

Parlez-vous cerveau ? La chronique de Lionel Naccache sur France Inter

Durant tout l’été 2017, Lionel Naccache a tenu une chronique quotidienne sur France Inter dans laquelle il expliquait avec humour et clarté le lexique des neurosciences. Pour le neurologue, qui est aussi membre du comité consultatif national d’éthique, ce bagage doit désormais faire partie des humanités de l’honnête homme du XXIe siècle.
> Réécoutez les chroniques de Lionel Naccache.  

 

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