Comment replacer la musique classique au cœur de la société, en dehors des salles de concert ?

© Eva Gener / EyeEm via Getty Images

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Par Pierre Solot

Durant les vacances de Toussaint, Xavier Flament cède sa place à Pierre Solot pour une échappée musicale. Et ce matin, Pierre Solot nous livre ses pensées autour de cette sempiternelle question du renouvellement du public.

Aujourd’hui, je voulais vous dire une chose importante : la musique classique, ce n’est pas chouette. Vraiment pas. La musique classique, ce n’est pas cool, ce n’est pas fun, autant conscientiser ça tout de suite. Nous travaillons sur une chaîne qui en passe à longueur de journée, nos auditeurs en sont férus et moi-même, je passe des heures par jour à l’écouter, à la jouer, à l’étudier, à m’en nourrir, mais franchement, cette musique n’est pas cool…

Evidemment, elle est bien d’autres choses : si elle n’est pas cool, la musique classique peut être profonde, intense, bouleversante, questionnante, bousculante, séduisante, voire érotique, sensuelle, audacieuse, complexe, agaçante, assoupissante, un peu drôle quand même parfois et j’en passe… Mais elle n’est pas cool.

La semaine dernière dans cette même chronique, Xavier Flament questionnait justement le renouvellement du public de la musique classique et le remplissage des salles, prenant comme exemple heureux le public de la Salle Philharmonique de Liège.

Je voudrais poursuivre la réflexion et l’inverser. En effet, le public des salles de musique classique en Belgique ne remplit pas facilement lesdites salles et la pandémie n’y est pas pour rien. Mais je voudrais m’échapper des questions que se posent les gestionnaires de ces salles de concert, des questions de communication, d’éducation, d’imagination pour les poser à l’inverse aux artistes qui viennent jouer dans ces salles.

La pandémie a été très révélatrice de l’attitude des musiciens classiques dans leur rapport au public et à la "publication" de leur art : ils ont hurlé contre la fermeture de ces lieux de musique consacrés qui leur ouvrent leur scène, parce que la fermeture de ces lieux induisait leur mort à court terme. Et je faisais partie des gens qui hurlaient ainsi.

Mais est-ce que le musicien classique ne pourrait pas faire exister sa musique sans les salles de concert ?

Le musicien veut créer du lien ? Il veut communiquer ces musiques centenaires ou ces créations contemporaines ? Qu’il cesse d’attendre qu’un théâtre lui ouvre ses portes et qu’un public se déplace pour l’applaudir.

Je pose la question autrement : Comment pourrait-on replacer la musique au cœur de la société ? Comment le musicien peut-il aller vers le public, plutôt que de poser la sempiternelle question de la venue des publics vers le musicien ?

Il me semble parfois que les musiciens classiques peinent à trouver des alternatives : quand les salles ferment, on pleure pour leur réouverture. Et en attendant, on se morfond.

Le musicien classique peut vivre avec son temps, on l’a vu aussi pendant la pandémie, lorsque le guitariste Quentin Dujardin a défié les absurdités répressives en organisant un concert dans des conditions qui étaient acceptées pour le culte.

Sur le rajeunissement et le renouvellement du public, on sait que l’éducation musicale à l’école est au centre de la solution. Une association comme les Jeunesses musicales travaille passionnément depuis déjà fort longtemps à placer les musiciens dans les écoles.

Si des restaurateurs étoilés sont montés dans des foodtrucks pour se poser au milieu des gens, les musiciens classiques le peuvent aussi : aller chez les gens, pas seulement les salons cossus, mais les halls d’immeubles, les cours, les rues, changer de lieu, changer de formule. Et se faire payer ! Bien sûr. Comme un acteur bien plus visible de la vie sociale. Comme un rouage essentiel de la vie ensemble.

Alors je les entends déjà les objections : l’acoustique, Monsieur Solot, la qualité acoustique aléatoire des lieux alternatifs…

Vraiment ? C’est ça la question ? Quand on voit parfois les églises utilisées pour donner des concerts dans des acoustiques qui rappellent le Mont Blanc en termes d’écho… ou des salles aussi sèches qu’une dune saharienne… il n’est pas évident que ce soit un frein.

Evacuons ces évidences, les évidences du silence nécessaire à la musique classique, et si on ne les évacue pas, on les questionne, au minimum. Le musicien doit-il rester dans le silence d’une salle de concert à moitié vide plutôt que de jouer au milieu d’une gare ? Je n’en suis pas certain.

Et puis, quitte à me contredire dans la même chronique, continuons aussi de penser la question de l’excellence, parce que c’est une question importante, encore une : Comment réunir les conditions de l’excellence hors des salles de concert ? De quoi a-t-on besoin ? Ne nous demandons pas si c’est possible, demandons-nous comment le faire.

Si le public ne vient pas en masse, basiquement, c’est par méconnaissance. Une personne qui est venue au concert a souvent envie de revenir. Et avant qu’elle ne revienne dans une salle à l’acoustique parfaite, encore et encore, de ville en ville, d’abonnement en abonnement, le musicien peut s’autoriser à aller la chercher, cette personne, là où elle se trouve au milieu du monde.

Ça en vaut la peine, parce que la musique classique… n’est pas cool, mais elle est profonde, séduisante, sensuelle, complexe, audacieuse, intense, bouleversante, et j’en passe…

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